Les matériaux locaux
Quels ont été les matériaux utilisés pour la construction des lavoirs ? D’où proviennent-ils ? Sont-ils en relation avec le sous-sol du lieu ? Comment ont-ils été extraits ?
Le moellon et la pierre de taille
La mention la plus commune employée dans les devis est moellon de pays. Quand la provenance exacte est indiquée, il est extrait de la carrière la plus proche et doit correspondre à son emploi : murs, margelles, marches, dés, encadrements.
Ces quelques exemples, sélectionnés à partir des devis ou correspondants au bâti actuel, sont localisés sur la carte géologique. Ils montrent bien la concordance entre les richesses du sous-sol et la construction de ce modeste bâti.
Cette grande proximité des matériaux, J. R. PESCHE dans son étude des communes (géologie, industrie), réalisée dans les années 1830-40, la mentionne, avec des lieux d'extraction très nombreux et répartis sur tout le département.(J. R. PESCHE "Dictionnaire topographique, historique et statistique de la Sarthe" 1841)
En 1869, l’enquête des Ponts et Chaussées ou « État des carrières » inventorie les extractions et les activités qui y sont liées. Cette étude qui recense 300 carrières, se situe au début de la grande période de construction des lavoirs couverts.(Arch. dép. Sarthe, 1 S 668-669)
Quand la précision sur le mode d’extraction est notée, 90 % des carrières sont exploitées à ciel ouvert, à la barre, à la pioche, avec des coins et quelquefois à la mine. Le transport s’effectue en charrettes tirées par des chevaux.
Le calcaire est extrait en galeries, comme à Villaines-la-Carelle, Vouvray-sur-Huisne, Bernay-en-Champagne.
Quand les pierres ne sont pas extraites des carrières, elles sont « tirées », comme à Dangeul, à coups de pics, de barres, de coins, pour être transformées en moellons. Les pierres des champs dont les silex sont ramassées à la main.
Visite dans les galeries de tuffeau du Grand-Lucé :
Nous sommes à une trentaine de mètres de profondeur sous la ville.
Face à nous, un banc de pierre dont les blocs sont découpés, prêts pour la dernière opération.
Silence ! La pierre va parler. Au son émis, le carrier va savoir à quel moment se dégager pour laisser tomber le bloc sur un lit spécialement aménagé pour qu’il ne se fende pas.
Les blocs étaient débités en petits morceaux permettant la remontée par le boyau d’accès. Les carriers notaient leur travail sur les parois.
Le mortier
Ce qui va différer au fil du temps, c’est la nature du mortier. Tout d’abord, il est confectionné avec de la chaux hydraulique qui est fabriquée localement ou à moins de 10km, par le chaufournier :
- Requeil, en 1863 : dans la commune
- Cherré, en 1875 : dans la commune.
- Villaines-la-Carelle, en 1882 : Maresché ou Condé
- Duneau, en 1901, où " la chaux proviendra des fours de Soulitré. Elle sera de nature hydraulique, livrée en blocs, exempte de biscuits, d’incuis et non éventée".
Après 1880, elle provient surtout des fours de Doué-la-Fontaine, Paviers, Senonches ou Trogues. Mais « elle sera de première qualité et sera livrée en sacs plombés. Le béton de chaux hydraulique comprendra trois parties de pierres concassées à l’anneau de 0,03 m à 0,06 m et deux parties de mortier. » (Ancinnes)
Au début du XXe siècle, le ciment dit de Portland tend à remplacer la chaux hydraulique.
La chape et l’enduit du lavoir de Duneau, « se composera de 350 kg de ciment de Portland pour 1 m3 de sable. Le ciment sera à prise lente dit de Portland. Il sera livré en barils hermétiquement fermés et pourvus de la marque de fabrique. »
À Ancinnes, « les ciments de Portland porteront la marque A des Usines DEMARLE ».
Les sables, entrants dans la composition du mortier, sont issus des lits de rivière ou « des meilleures carrières du pays et exempts de toute matière terreuse ou marneuse »(Arch. dép. Sarthe, la Chapelle- au- Choux, 2 O 60/7) Beillé, Arnage, Spay, Vaas, La Fresnaye-sur-Chédouet… Les choix sont parfois très précis: à Brûlon, pour la maçonnerie, il provient des carrières de « L’Oisonnière » à Viré-en-Champagne, tandis que celui des enduits est acheté à la carrière de « La Garenne » à Saint-Ouen-en-Champagne.
Le ciment de Portland
À la fin du XVIIIe siècle, de grands travaux d’infrastructure tels que canaux, ports, urbanisme, vont stimuler le progrès des mortiers. Des recherches sur une cuisson optimisée de calcaires argileux fait évoluer la technologie du ciment. En 1824, l’Anglais Joseph ASDIN, fait breveter son procédé qu’il nomme « ciment Portland » parce qu’une fois pris, il avait la couleur de la pierre extraite de la presqu’île de Portland.
Le bois
Quelle que soit l'essence employée, le bois est toujours d'origine locale.
- La charpente : elle est édifiée la plupart du temps, en peuplier avec des poteaux de soutien en chêne.
- Le bardage : il est réalisé en bois blanc ou sapin, posé horizontalement ou verticalement avec parfois des couvre-joints. Il reçoit trois couches de peinture à l’huile puis, au XXe siècle, une couche de carbonyle (Le carbonyle, produit très odorant, est constitué d'un mélange d'huiles extraites du goudron de houille; il a été très utilisé pour préserver le bois de la pourriture)
- Les aménagements:
les planchers mobiles et les planches à laver (souvent nommées madriers de battage ou de lavage) sont confectionnés en chêne. Quant aux tréteaux d'égouttage du linge, aussi appelés, support pour linge mouillé, rambarde à linge, barre d’appui, chevalet pour égouttage du linge, porte-linge, main courante, ils sont la plupart du temps en chêne.
- La couverture
Les premières constructions sont couvertes en bardeaux, tuiles en bois local. Le 20 avril 1818, le maire de Sceaux-sur-Huisne envoie un état des travaux au préfet pour obtenir le financement de 57 F pour 2000 bardeaux et six bottes de lattes. Le devis de réparations du lavoir de Parigné-l’Évêque , du 29 mars 1835, mentionne que le couvreur va « retourner » une partie des bardeaux avant d’en poser mille neufs et de les compléter par cinq cents tuiles. À Tuffé , dans le projet de 1850, les 49 m2 de toiture reçoivent des bardeaux, préférés à la tuile que les enfants de l’école voisine auraient pu casser !
À Saint-Calais, un devis, sans doute de la fin du XVIIIe ou du début XIXe siècle, note la fourniture de tout le bois nécessaire à la couverture en bardeaux, indiquant la façon de procéder à leur pose. En 1817, à Marçon, les bardeaux sont en chêne comme l’ensemble de la construction.
La plupart des devis de cette première moitié du XIXe font référence aux bardeaux de bois.
Le sapin du Nord
De façon courante, dans nos campagnes, le pin sylvestre de pays est appelé « sapin du Nord ». C’est la même essence forestière « pinus sylvestris » qu’en Scandinavie. Ces pins sont cultivés dans les massifs forestiers de Perseigne, Bercé et Sillé-le-Guillaume depuis le XIXe siècle.
Cet arbre droit, élancé, à l’écorce rouge, est bien apte à la charpenterie.
La tuile, la brique et l'ardoise
Brique et tuile
Notre département est riche en gisements argileux à proximité desquels se sont installées des briqueteries et tuileries.
Peu de murs sont entièrement montés en brique. Elle est utilisée dans les angles des murs, les encadrements de portes, les jambages ou les dés isolant les poteaux de charpente de l’humidité et aussi dans les pavages.
Nous avons régulièrement trouvé des références à la brique du Gibet, en particulier dans le Nord-est du département. Elle provenait de l'importante tuilerie briqueterie située au lieu-dit "le Gibet" à Mâle, dans l'Orne.
L’élaboration des tuiles était beaucoup plus délicate que celle des briques. Extraite à la fin de l’automne, l’argile mélangée à du sable, avant d’être étendue sur de grandes surfaces où elle « pourrissait », était pétrie, moulée, séchée avec précaution et mise au four.
La tuile plate dite "de pays" remplace les bardeaux des premières constructions. Puis, elle se trouve concurrencée au début du XXe siècle par celle dite mécanique, inventée par les frères GILARDONI en 1850. À emboitement, elle offre le double avantage de peser moins lourd et d’être plus couvrante (13 tuiles par m2 contre 60 pour les tuiles de pays) et donc, d'être moins onéreuse à la pose. Elle devance la tuile plate dans les constructions d'après 1920.
Ardoise
« L’ardoise, longtemps réservée aux églises et aux manoirs, gagne le sud du Maine, proche d’Angers, dans la deuxième moitié du siècle » (XVIIIe) ( Anne FILLON « Louis Simon, villageois de l’ancienne France », éditions Ouest-France 1996, p 127)
Avec ses ardoisières de Parennes et de Rouez, la Charnie fournissait des ardoises pour toute la région jusqu’au milieu du XIXe siècle. L’enquête de 1869 mentionne que les ardoisières de Lépinay à Parennes employaient deux cents ouvriers dans les années 1810 et qu’elles ont cessé d’être exploitées vers 1848. Celles de Rouez-en- Champagne, très anciennes, fournissant de l’ardoise d’excellente qualité ont été abandonnées vers 1840.
Peut-être, les lavoirs de Loué, au pont de la Vègre (1818), de Sillé-le-Guillaume (1823) ont-ils été couverts avec cette ardoise ?
Exploitées à ciel ouvert, fournissant un schiste taillé mécaniquement, les ardoisières angevines ont étendu leur domination sur l’ensemble du département. L’ardoise d’Angers se décline en plusieurs modèles, d'après la dimension, tels que : « poil taché», «grande moyenne», «2e carré forte» ou «grande carrée». À l'origine, elle était posée au clou, sur voliges; dans les années 1880, une nouvelle méthode est mise au point: la pose au crochet sur liteaux.
Les "nouveaux matériaux"
La tôle galvanisée, le fibrociment
Jusqu’en 1890, le nombre de lavoirs sarthois couverts en ardoises ou en tuiles est sensiblement le même. C’est après la Grande Guerre que d’importants changements apparaissent. La tôle en fibrociment des usines Éternit (amiante) et les tôles ondulées galvanisées vont concurrencer l’ardoise d’Angers et la tuile. Matériaux plus légers d’une pose beaucoup plus rapide sur une charpente moins élaborée, ils sont d’un coût financier moindre.
Le parpaing de ciment
Peu à peu les matériaux des lavoirs changent. Aux moellons et aux pierres de taille, d’extraction locale, à la pose fastidieuse et longue, le constructeur va préférer le parpaing de ciment, notamment, en 1928 à Vouvray-sur-Loir, en 1929 à Nogent-sur-Loir, en 1930 à Voivres, en 1955, à Saint-Pierre-des-Bois.
Le béton armé
En 1905, la ville de Saint-Calais est la première dans le département, à faire confiance à ce nouveau procédé de béton armé, lui permettant de réaliser un toit végétalisé.
En 1949, Coudrecieux utilise ce béton armé pour les poteaux soutenant la toiture, le bassin et les rambardes pour le linge mouillé.
Le béton investit aussi la toiture, comme à Marollette, Mamers, Thorée-les-Pins, d’une construction classique et Courgenard sur une forme voûtée.
Le choix des matériaux s’adapte aux nouveautés industrielles et à l’évolution des techniques. La provenance locale n’est plus de mise. Le chemin de fer facilite les transports. Du tireur de pierre, au carrier, en passant par le maçon, le charron, le couvreur, le charpentier, le menuisier, le serrurier, le peintre, de nombreux artisans participaient à la construction des lavoirs. Béton armé, tôle et fibrociment réduisent notoirement le nombre d’intervenants.
Le béton armé
Au début du XXe siècle, le bâti va connaitre une autre révolution grâce au maçon, originaire du Pas-de-Calais, François HENNEBIQUE (1842-1921). Il cherche une alliance du fer et du ciment pour protéger le métal du feu. Vers 1890, il élabore le système de construction en fer et béton qui portera son nom et qui sera consacré à l’Exposition universelle de 1900. Bon marché et facile à mettre en œuvre, son invention va connaître une rapide expansion dans toute la France et même à l’étranger.