Des lavoirs peu ordinaires

Notre étude répertorie et analyse la construction des lavoirs communaux mais nous ne pouvions ignorer deux lavoirs conventuels d’une conception exceptionnelle, les buanderies de châteaux et les bateaux-lavoirs.

Lavoirs conventuels

  Lavoir de Champfleur

Au début de l’installation dans la commune de la Congrégation des Sœurs Franciscaines en 1836, les sœurs ne disposaient que d’un petit lavoir en mauvais état. Elles se rendaient aussi jusqu’à Gesnes-le-Gandelin, distant d’une dizaine de kilomètres, pour laver le linge de la communauté. La construction du lavoir conventuel commencée en 1885 a été financée avec l’héritage de Sœur Marie-Isabelle. Ce très grand bâtiment comprenait en plus du bassin et du séchoir à l’étage, une buanderie, une boulangerie et un fumoir. Les eaux de pluie de tous les bâtiments de la communauté alimentaient le bassin. Le plancher mobile suspendu au-dessus de l’eau à l’aide de chaînes qui s’enroulent autour de poulies reliées aux quatre grandes manivelles situées dans le séchoir pouvait s'adapter au niveau de l'eau. Les sœurs ont utilisé ce lavoir jusqu’en 1962, moment où elles ont fait l’acquisition d’une grosse machine à laver.

L’ensemble du bâtiment devient communal en 1998. Les travaux de restauration engagés en 2003 lui ont redonné un parfait état de fonctionnement. Le prix régional des Rubans du Patrimoine a couronné ces efforts. Ce lieu est animé par l’association des Amis du lavoir de Champfleur qui organise des expositions d’art, tout au long de la belle saison.

Lavoir des Sœurs de Ruillé-sur-Loir

Ce grand bâtiment datant des années 1850, est composé d’une magnifique salle voûtée où le lavage s’effectuait debout autour d’un bassin central alimenté par une eau de source. À l’étage, un séchoir muni de volets à ouverture variable complétait l’installation. Un ensemble de fils tendus permet toujours le séchage en extérieur. Un tableau du peintre Jules Hervé-Mathé, daté de 1914, évoque l’animation de ce lieu au temps où les sœurs y entretenaient tout le linge de la communauté. Aujourd’hui, les machines ont pris le relai dans la pièce voisine mais les sœurs vident et nettoient le bassin régulièrement.

tableau d'Hervé Mathé situé dans la salle accueil de la mairie du Grand-Lucé

Buanderies de châteaux

Château de Pescheseul à Avoise

Le bâtiment fut construit dans les années 1870. L'architecture en est soignée avec l'alternance du calcaire et de la brique dans les angles et les encadrements. Un bandeau souligne la séparation entre la buanderie et le séchoir. Un oculus en pignon éclaire ce dernier.

L'eau nécessaire au lavage était puisée dans la Sarthe toute proche et remontée grâce à une éolienne Bollée.

Entrons dans la buanderie où Madame d'AMÉCOURT nous accueille...

Au rez-de-chaussée trois bassins de lavage et rinçage, occupent le centre de la buanderie où les femmes pouvaient laver debout. Elles appréciaient le confort du lieu. Cette buanderie conserve les témoins des évolutions de la pratique de la lessive:

  • le cuvier et son système de chauffage au bois en contrebas, dans une partie entourée de murs, constituant une isolation et réduisant le risque d'incendie.
  • la lessiveuse
  • la machine à laver, de marque "Triomphe".

À l'angle de la pièce, un grand calorifère fournissait de l'eau chaude aux bassins.

Dérivé de notre" boête" à laver, un accessoire extrêmement simple et ingénieux, est aussi conservé au bord du bassin. Le plancher faiblement surélevé est percé de trous ; la laveuse reste les pieds au sec. La planche du devant, verticale, légèrement plus haute que le muret, la protège des projections dues au brossage, ses habits ne s'appuyant pas sur la margelle.

À l'étage, le séchoir est composé de deux pièces; dans l'une, les ouvertures des volets sont fixes et dans la seconde, ils sont à ouverture variable, permettant un réglage en fonction du temps et de la quantité de linge.

Château de Chéronne à Tuffé

Et voici la machine à laver du château de Chéronne, fabriquée par Chauveau Frères-Paris. Un moteur électrique, fixé au sol, met en mouvement, par courroie, l’arbre aux trois poulies. L’une entraîne la pompe qui prélève l’eau de la Chéronne au pied du bâtiment. Une autre fait tourner la machine à tambour équipée d’un système de débrayage. L’électricité est produite, en courant continu, dans l’ancien moulin, grâce à une  turbine  actionnée par la pression de l'eau de l'étang. Le centre de la pièce est occupé par un grand bassin de 5 m sur 2 m, permettant, là aussi, aux laveuses de se tenir debout, pour le brossage et le rinçage du linge qui sortait de la machine insuffisamment détaché et blanchi par les cendres et les marrons d’Inde (une poignée jetée dans le tambour pour activer le brassage).

La machine de Chéronne a rendu de bons et loyaux services jusqu’à la fin des années 1950.

Les établissements Chauveau Frères produisaient une machine à laver « l'Expresse » en 1893 avant la « Triomphe ».

Les bateaux-lavoirs

Plus aucune trace de bateaux-lavoirs en Sarthe, seulement les souvenirs des anciens.

1943 cliché extrait de l'album réalisé avant le départ sur le front russe du chef d’État-major de la 7e armée allemande, Friedrich SIXT (Olivier Renault)

D’après le témoignage de M. Henri TERREAU, buandier, habitant sur son bateau, quai Amiral Lalande, sa journée commence à quatre heures du matin, hiver comme été. Il alimente le feu avec du bois et du charbon sous les chaudières préalablement remplies d’eau de rivière puisée avec des seaux.

À l’arrivée des 5 ou 6 employées (« mes femmes à moi ») dès 7 h 30, l’eau est bien chaude. Elles rejoignent « leur » place et y passent toute la journée jusqu’à la nuit tombante. Quelquefois, certaines arrivent avec une « perruque », un petit paquet de linge à laver pour une tierce personne. Puis arrivent un peu plus tard, les femmes du quartier, accompagnées parfois de leurs enfants. Elles peuvent apporter leurs fournitures ou les acheter au patron : bois, lessive, eau de Javel, savon, cristaux de soude et bleu d’azurage. Employées et clientes s’activent, elles font bouillir le linge, le décrassent, le savonnent, le brossent, le battent, le rincent.

Le patron s’occupe d’essorer et d’étendre le linge dans la « sèche » moyennant paiement. Il va aussi chercher le linge chez les clients (hôtels, restaurants, écoles et particuliers) avec une voiture à bras puis plus tard, une automobile. Bien qu'elles soient au sec dans ce bateau-lavoir, les femmes appréhendent le retour de la mauvaise saison et son cortège de mains gelées, grippes, angines, rhumes. Elles se redonnent du cœur à l’ouvrage, à la « gueule du four » avec un petit café. (article"Métiers oubliés ou disparus" Lycée Robert Garnier la Ferté Bernard 1977)

Les bateaux-lavoirs ont été établis sur la Sarthe, le Loir et l’Huisne des années 1830 jusqu’au début du XXe siècle.

 Une autorisation préfectorale était nécessaire à leur installation afin de vérifier qu’ils ne gêneraient pas la navigation. Le propriétaire devait régler un droit d’occupation temporaire du domaine fluvial.

Ces bâtiments de 25 à 30 m de long sur 4 à 5 m de large où une vingtaine de chaudières en moyenne permettaient de faire bouillir le linge, étaient souvent pourvus d’un étage-séchoir. Quand ce n’était pas le cas, les terrains proches servaient d’étendoirs.

Pendant la période des écourues, le bateau était déplacé d’une dizaine de mètres vers le milieu de la rivière. Parfois le travail était suspendu car, l’eau polluée par les riverains qui « jettent de tout dans les ruisseaux » ou par le rouissage des chanvres, devenait inutilisable.

Les crues étaient redoutées car elles entraînaient parfois le bateau au fond de la rivière.

De Sainte-Jamme-sur-Sarthe au Mans, ils s’égrenaient le long de la Sarthe dans les principales agglomérations de sa vallée jusqu’à Pincé aux confins du Maine-et-Loire. Quelques-uns furent établis  sur l’Huisne (Pont-de-Gennes, Champagné) et sur Le Loir, au Lude et à La Flèche. Seulement quatre furent gérés par des municipalités. (Arch. dép. Sarthe, 3S 86, 98, 104, 119, 126, 362, 367, 376 et 2 O 242/7 et 295/7 et archives municipales de Pont-de-Gennes 5 M 14)

Ils ont été très fréquentés jusqu’à la fin des années 1950 et sont tous disparus en Sarthe.

En Mayenne, le "Saint-Julien" restauré et amarré sur la Mayenne à Laval, permet d’appréhender la dimension de ces bâtiments et l’étrange sensation d’instabilité sur ce lieu de travail. Construit en 1904, il a cessé son activité en 1970. Il est devenu musée municipal en 1985 et classé Monument Historique en 1993. Restauré, il a retrouvé sa place, quai Paul Boudet le 17 octobre 2013. Une vidéo réalisée par l'I.N.A. en 1969 donne la parole aux dernières ménagères venant y laver leur linge et montre le fonctionnement du bateau-lavoir à ce moment-là.

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