Poèmes, textes et peintures

"Jour de lessive" de Gaston Couté

Je suis parti ce matin même,
Encor soûl de la nuit mais pris
Comme d'écœurement suprême,
Crachant mes adieux à Paris...
Et me voilà, ma bonne femme,
Oui, foutu comme quatre sous...
Mon linge est sale aussi mon âme...
Me voilà chez nous !

Ma pauvre mère est en lessive...
Maman, Maman,
Maman, ton mauvais gâs arrive
Au bon moment !...

Voici ce linge où goutta maintes
Et maintes fois un vin amer,
Où des garces aux lèvres peintes
Ont torché leurs bouches d'enfer...
Et voici mon âme, plus grise
Des mêmes souillures - hélas !
Que le plastron de ma chemise
Gris, rose et lilas...

Au fond du cuvier, où l'on sème,
Parmi l'eau, la cendre du four,
Que tout mon linge de bohème
Repose durant tout un jour...
Et qu'enfin mon âme, pareille
A ce déballage attristant,
Parmi ton âme - à bonne vieille !
Repose un instant...

Tout comme le linge confie
Sa honte à la douceur de l'eau,
Quand je t'aurai conté ma vie
Malheureuse d'affreux salaud,
Ainsi qu'on rince à la fontaine
Le linge au sortir du cuvier,
Mère, arrose mon âme en peine
D'un peu de pitié !

Et, lorsque tu viendras étendre
Le linge d'iris parfumé,
Tout blanc parmi la blancheur tendre
De la haie où fleurit le Mai,
Je veux voir mon âme, encor pure
En dépit de son long sommeil
Dans la douleur et dans l'ordure,
Revivre au Soleil !...

Gaston Couté (1880-1911)

D'origine beauceronne, gardant le "patois" dans certains de ses textes, ce poète libertaire dénonce la misère, la violence sociale, prenant le parti des déshérités contre les nantis. En Sarthe, la troupe des Chemineux lui rend hommage au travers de leurs spectacles.

tableau de Ludovic PIETTE (1826-1878) "barrière des moulins de Gourdaine" vers 1870; gouache sur carton. Musées du Mans, inv.2003,1.1, don de la SAMM

Ce tableau peut être mis en relation avec les remarques de  J. R. Pesche, en 1842, à propos de l'installation du premier bateau-lavoir (tome 3  du dictionnaire statistique de la Sarthe, p621):

« l’habitude contractée par les laveuses de cette ville de se tenir debout, les jambes nues, dans la rivière, pour battre le linge sur des selles élevées à la hauteur d’une table […] C’est avec satisfaction qu’on doit voir l’établissement qui vient d’avoir lieu d’un bateau-lavoir, placé près du pont Napoléon, dans lequel les femmes se tiennent également debout, mais les jambes au sec et à l’abri de l’intempérie de l’atmosphère, puisque ce bateau-lavoir est couvert. Il est à désirer que ces sortes de bateaux se multiplient ».

D'après ce tableau, cette habitude a encore perduré après l'installation des bateaux-lavoirs.

"Les draps sèchent sur le foin" de Gaston Couté

Quoué qu'a tombé su' la prairie
Pour qu'on la revi' coumm' ça tout' blanche ?
Tomb' pas d' neige en plein coeur d'avri' :
Ça f'rait framer l' yeux aux parvenches.

Eh ! ben, v'là c' que c'est : à c' matin
On a fait la lessive à la farme,
Et les draps prop's séch'nt su' le foin
Et sous le hâl' qui souff'el farme.

Les draps sèch'nt, les draps oùsqu'on s' fourre ;
Quasi coumme el' soulé se couche,
Ereintés par la tâch' du jour
Et oùsqu'on s'endort coumm' des souches.

Les draps d' sommeil, les draps d' repos
Qu'entend'nt ronfler sans fin ni cesse,
Mais qu'entend'nt pas souvent d' bécots
Et qui sent'nt pas souvent d' caresses.

Les pauv'ers draps à qui qu' l'amour
S'en vient pas souvent fair' visite,
Et, si ça y arrive un bieau jour,
Il ent'e, i' sort, et r'fil' ben vite.

Les draps sèch'nt et par-dessous eux,
Sans qu'on y voi' ren, les foins poussent,
Les foins oùsque les amoureux
Ont coulé des minut's si douces,

Les foins pleins d' petits creusillons
Qui sont autant d' gîtons d'amour
Que les coup'les en contravention
Ont s'més coumm' ça su' leu' parcours.

Les draps séch'nt, et les foins sent'nt bon,
l's sent'nt la chair de fille et d' mâle
Et guerdill'nt encor des frissons
Du gas qu'ensarr' la garc' qui râle.

Les draps sèch'nt et, tout en sèchant,
Les foins qui sent'nt bon les parfument,
Les v'là secs ! au soulé' couchant
l's s'ront à leu'plac' de coutume.

Dans les grands lits aux grands ridieaux
Et, à c'souer, la chandell' soufflée,
L' mait' ed' farme encore tout vieillot
Sentira son coeur s' réveiller.

L' charr'quier ira r'trouver la bonne
Et la bonn' le coursera point,
L' porcher r'grett'ra d'avouér parsonne
Pasqu' les draps sentiront les foins.

" A la plate" Xavier Privas

A la Plate,
Les laveuses aux gros bras
Frappent, à grands coups de batte,
Les serviettes et les draps,
Les chemises et les bas.
A la Plate.

Sur l’une et sur l’autre rive
De nos deux jolis cours d’eau,
Les femmes font la lessive,
Que le temps soit laid ou beau !

On n’aperçoit que leur torse,
Devant le linge entassé
Qu’elles tordent avec force,
Après l’avoir bien rincé.

Sans arrêt, sans lassitude,
En hiver, comme en été,
Elles font leur tâche rude,
Avec vaillance et gaité.

Et comme elles sont contentes
De rendre, quand vient le soir,
A leurs coquettes clientes,
Un linge superbe à voir.

Le beau linge est la richesse
Des ménages du pays,
Par prudence et par sagesse,
Tous les nids en sont remplis.

A ces femmes acharnées
Au plus âpre des labeurs,
Réservez, ô destinées,
Vos présents et vos faveurs !

A la Plate,
Les laveuses aux gros bras
Frappent à grands coups de batte,
Les serviettes et les draps,
Les chemises et les bas,
A la Plate !

Xavier Privas ( 1863-1927)

D'origine lyonnaise, ce poète a été sacré "prince des chansonniers" en 1899. Il est le fils spirituel de Pierre Dupont.

"Le lavoir" Albert Mérat

Une source descend de la roche brunie :
Les filles de Plomar viennent laver au bas
Aux coups vifs des battoirs se mêle le fracas
Que fait le flot, et c'est une forte harmonie.
Comme devant l'autel sur la dalle bénie,
A genoux sur le roc, les pieds nus et nu-bras,
Les filles aux yeux clairs ne vous regardent pas,
Et leur visage est pur comme la mer unie.
Bleuie en longs filets parmi les galets blancs,
La source fait un doux bruit de grelots tremblants
Que l'Océan bientôt étouffe sous sa lame ;
Et les femmes qui sont la grâce du tableau
Se penchent, laissant mordre au matin qui s'enflamme
Leurs beaux bras ruisselants de gouttelettes d'eau.

Albert Mérat (1840-1909)

Il fait partie des poètes parnassiens; Paul Verlaine lui consacra une de ses 27 monographies. "Le lavoir" est extrait du recueil "Les souvenirs" de 1872.

Achille Millien

    C’est ici, du matin au soir
            Que par la langue et le battoir
On lessive toute la ville
      On parle haut, on tape fort
               Le battoir bat, la langue mord !
           Pour être une laveuse habile,
               Il faut prouver devant témoins,
       Que le battoir est très agile,
                Que la langue ne l’est pas moins.

Achille Millien (1838-1927)

Ce poète tire son inspiration de son pays natal, le Nivernais. Il a publié une vingtaine de volumes de 1860 à 1924 et a aussi collecté nombre de contes et chansons dans sa région.

"En mémoire des femmes travailleuses" scène de rue à Madrid

"Le lavoir " Pierre Dupont

1

Une rigole en vieux chêne
Au lavoir à même l'eau
De la colline prochaine
Où se tient caché l'écho,
L'écho qui jase et babille
Et redit tous nos lazzis ;
Car nous lavons en famille
Tout le linge du pays.

au Refrain

2

La margelle est une pierre
Aussi lisse qu'un miroir ;
Un vieux toit fourni le lierre
Tient à l'abri de lavoir ;
De l'iris les feuilles vives
Y dardent leurs dards pointus ;
Pour embaumer nos lessives,
Sa racine a des vertus.

au Refrain

3

La vieille branlant mâchoire,
Qui se souvient de cent ans,
Conte aux jeunes quelque histoire
Aussi vieille que le temps :
C'est Satan qui se démène
Dans le corps d'un vieux crapaud,
Ou bien c'est quelqu'âme en peine
Qui, la nuit, vient troubler l'eau.

au Refrain

4

Tout en jasant, la sorcière
Tord son linge à tour de bras ;
Auprès fume une chaudière,
C'est comme aux anciens sabbats.
Mais dans un coin la fillette
Qui veut plaire à son galant,
Mire dans l'eau sa cornette,
Sa ceinture et son bras blanc.

au Refrain

 

refrain

Tous les jours, moins le dimanche,
on entend on entend  le gai battoir
battre la lessive blanche
dans l'eau verte du lavoir

poème et chanson

 

Pierre Dupont (1821-1870)

Poète et chansonnier d’origine lyonnaise, il écrit des pastorales, des chants politiques et socialistes. Il fut déporté suite à la parution en 1849 de son livre "le Chant des paysans",hostile à Napoléon III.

à Paderborn (Allemagne)

"Pauv'de moi" Michèle Caminade

histoire du vieux Marco à Ecquevilly

J'étais un si bon vieux lavoir
Les fem' chaque jour chaque soir
Venaient s'égayer en ces lieux
J'étais un beau lavoir bien vieux

Ah! que de draps on a posé
Sur mes très vieilles margelles
Que de linge battu, frappé
Par le battoir de ces belles!

Tandis que l'eau claire clapotait
Tandis qu'au loin elle emportait
Les secrets de polichinelle
Sortis de la langue des belles

La Fontaine Saint Martin
S'écoulait dans mon bassin ancien
J'étais le doyen des lavoirs
A mes côtés un abreuvoir

Venaient y boire les chevaux
Dans le temps n'y avait pas d'auto
On m'appelait le bon Marco
Du temps n'y avait pas d'auto

 

Mes deux bassins étaient en bois
Dans les fonds j'étais à l'étroit
Le sieur Grapin voulut m'enclore
Les femmes crièrent pas encore!

 

On m'habilla d'un très beau toit
Lavandières à l'abri du noroi
Voyez ce qu'il reste de moi
Pauvre Marco bassin de roi.

Michèle Caminade

Elle a publié en 2010, un ouvrage "Linge, lessive, lavoir: une histoire de femmes" où elle tente de transmettre l'émotion ressentie devant ces lieux modestes.

à Paderborn (Allemagne)

Méquier, s.m. Métier

 Les enfants chantent dans leur ronde:

La fill' du roi d'Espagne
Vive l'amour!
Veut-z-apprendre un méquier
Vive le laurier!
Le méquier qu'al'veut-z-apprendre
Vive l'amour!
C'est la bué-z-à laver
Vive le laurier!

 

Vocabulaire du Haut-Maine dictionnaire C.R. de Montesson, édition 1859

Fercé 1937 Charles Morancé

Le lavoé!

Si tu savais
Mon p'tit gas
C'que les lavoés
Ont entendu!...
Même les tuiles
En rougiraient,
Pendant qu'les foutiaux
S'tortillaient d'rigoler.

Des générations
D'bonnes femmes,
L'cul en l'ai,
L'battoé à la main,
L'savon d'l'aute,
Débinaient des tas
D'Lucienne avé l'gas Julien.
Y z'inventaient destas
D'raisons pour échaubouiller
Les vieilles biques du pays.

Les lavoés sont mos, 
Bersillés par la Mère Denis.
Les lavoués tout guermis
S'sont déguenillés
Tout au long des jous.
De qué qui font là
Les pattes cassées, dans l'iau
Qui n'sait même pu souri?
Y sont déjà presque chus d'dans!

Y rêvent aux biaux jous
D'antant,
Ben emmerdés
D'nète pu aimés.

Le Sarthois 15 juin 1987 (texte recueilli à Beaumont-sur-Sarthe)

à Bruchhausen-Vilsen (Allemagne)

"Au vieux lavoué" René Langlais

Pan ! Pan ! et Pan ! ça qu’est vanquié les battoués qu’non entend là loin au dret du vieux lavoué. Ya pas qu’les battoués d’ailleu, j’cré ben erconnaîte la veix d’picrâ à la mère Beuriot, eune battâs d’promière. A deit core ête environ d’sembier la p’tite fumelle à la mère Rapitouâs. Al tait postée Dimanche au souai à la querrouzée d’la chaumière, a deit ben avei vu quouque chouse de macâbre. Les autes bonnes femmes a rigolant d’leu force, les g’noux en leu cârrosse garni d’pâille, l’morciau d’savon d’eune main, la brosse de l’aute. La goule a marche autant que l’battoué, quouquefois core ben pus. A n’ont pâs qu’du piaisi, les pouves laveuses, al ont ben du man aussite. Quante ça qu’est l’poetit fait qu’faut rincer, ça va tout seu, mais l’grous fait, les grands draps en chanbre, ça qu’est pâs pétassant, et ça poèse en la civière, à vous en dégueriancher les bras. Dans l’moment, ça savonne, ça brosse, ça manie l’battoué qui fait cotti des gilées d’iau jusque sus la goule aux bonnes femmes. A s’pressant pas que l’avent core à appadencer la buée sus les fils d’fè cez leus pratiques.

La mère Gustine al tait là ben seûr, eune grousse bondrée qu’avait un foiron comme eune jument poulinière et la goule rouge comme eune tomate portugaise et des j’veux itou d’lavoine. Yen n’avait qu’y voulint point l’empleyer, pas qu’a bâufrait comme un orgue. Al avait vanquié mangé des haricots pouâs d’saint-Fiacre à vigile pas que là v’là qui s’met à lâcher un pet, mais un pet terrible, brutau, ambassadeu, bendu, point nigeton ni fiâcre, quasiment pâs creyable, que j’cré ben qu’ça n’a fait des vagues en l’iau du lavoué et bersiller d’z’yeux les laveuses. « Ben, j’ons ben l’dret », qu’a dit. Les bonnes femmes benseur a s’écraillant :

« -Ben, dis don, la Gustine, tu t’creis à Verdun pas moins
-C’est doumaige qu’on peut pas r’pâsser ça sus un phono
-T’as oublié d’moette la sourdine que j’creis
-Tu d’vrais t’ferre embaôcher en la Musique
-Ded qui qu’c’est qu’tu jupes comme ça ?
-T’as d’la commersation a nuit, ma Gustine
-C’est quasiment, dandilleux tes sorties ! » auvec ben seûr pas mal de risées.

La Gustine, point émoyée, as’levit sus bout sus ses sabots, et en moettant ses grousses pognes sus ses hanches, a dit :
« Oh ! mais ça qu’est rin, ça mes filles. Quiens, j’vous parie qu’j’éteins eune bougie, comme de rin
-Parié, qu’séquerrièrent les bonnes femmes, non t’poyera un bon gueuleton ! ».

Ça qu’est vrai c’que j’vous dis là, ça qu’était au lavoué d’Parigné sus c’te route de Riaudin, c’est mon grand-père qui me l’a dit et y n’disait point d’menteries.
Non envoyit viquement l’poetit gâs Phonse qu’était là à soguer ren qu’ri eune bougie et eune bouéte d’allumettes et pis non gui dounit deux sous pour aller s’ageter eune surprise.

Et la cérémonie a c’mencit. J’vâs point vous ferre un dessin, pas vrai, vous ez ben iméginé. La Gustine a se r’courcsit et aïe donc ! Un tir et un souffye à ferre pou, point biland j’vous l’dis. Mon grand père y rajoutait « Et non a vu eune grand flamme bleue, et pis la bougie, ça qu’était s’ment ben vrai, a s’est éteindu comme un cierge à la fin d’eune messe d’enterrement ».
-L’hydrogène, sans doute ? sulfuré, peut-être ? asphyxiant, sûrement !
-Ben oui, vanquié.

 Les Berlauderies du Père Padois

La buée

extrait de "Une enfance à la campagne" de Gaston Chevereau, né à Saint-Mars-d'Outillé en 1909 (p 114-115-116)

La fabrication du pain et du beurre, la lessive à la manière ancienne, voilà des tâches que ne pratique plus la fermière de maintenant. Vous connaissez les grandes armoires de nos grands-mères. Quand une fille se mariait, on lui donnait une armoire remplie de linge: des douzaines de paires de draps, de souïlles(taies d'oreillers), de torchons, de chemises, de mouchoirs, qui s’empilaient sur les rayons et que l'on montrait avec fierté. Il fallait beaucoup de linge parce qu'on ne faisait la lessive que tous les trois mois. Le linge sale était jeté sur une perche dissimulée sous un escalier ou dans un réduit. Vous devinez tout de suite la quantité de linge entassé sur la perche au bout du trimestre. La lessive devenait ainsi un gros travail, un événement.
Vous pouvez voir encore, dans chaque ferme, un petit local construit en briques et séparé du corps de bâtiment, la "cabane" où se faisait la cuisson des aliments pour les bêtes. C'est là qu'avait lieu la buée. Une grande chaudière en fonte, de marque "Chappée" brevetée S.G.D.G. (Sans Garantie du Gouvernement),avec chaudron, d'une contenance de 100 à 200 litres et plus; un cuvier de 1,50m de diamètre, posé sur un haut et solide trépied près de la chaudière; un tuyau fait d'une tige creuse de sureau, fixé à la base du cuvier et qui assurait l'écoulement dans le chaudron: voilà le matériel en place.
Sur le fond du cuvier les pièces de linge sont étalées et superposées. Sur la couche de linge, on ajoute une couche de cendres de bois. Et ainsi de suite jusqu'en haut. Dans le chaudron rempli d'eau, on verse un paquet de cristaux de soude. On allume la chaudière. Lorsque l'eau bout, à l'aide du vide-buée, récipient à long manche (comme qui dirait une louche), on verse l'eau sur toute la surface du linge; cette eau traverse la masse de linge et de cendres, revient dans le chaudron par le pissot et ainsi de suite. On "coule la buée"pendant une bonne demi-journée tout en entretenant un feu vif d'écorces de sapin ou de trous de choux (des trognons) dans la chaudière. Avec un bâton, on retire le linge du cuvier et on remplit des baquets. La cherrée (la cendre) est un engrais que l'on recueille.
A l'Hommedaire, sur le ruisseau, nous avions notre lavoir, un barrage constitué d'une épaisse et large planche faisait monter le niveau de l'eau jusqu'au quartoué (la planche ) laver). Maman se faisait aider par une ou deux voisines. Papa, ou mes frères, descendaient les brouettées et les remontaient: c'est lourd du linge mouillé; la côte était rude et le sol argileux souvent glissant. Voilà les laveuses agenouillées dans leur boîte à laver, penchées au-dessus du quartoué. J'aimais les regarder.
En faisant pénétrer l'air sous les pièces de linge par un mouvement de la main, elles obtenaient des ballons. Les chemises devenaient des bonshommes rebondis, les mouchoirs de petits ballons de couleurs variées. Chaque pièce de linge prenait une forme particulière. Cette manœuvre amusait sans doute les femmes car elles riaient lorsque l'une d'elles avait réussi "un grous bonhomme ou enne grousse bonne femme"; mais elle avait surtout son utilité: elle permettait de se rendre compte si le linge était bien lavé; par transparence les taches se voyaient bien. Quant à moi, c'était le côté plaisant et joli de l'opération qui retenait mon attention.
Pour tordre les draps, les laveuses s'entraidaient; chacune prenait un bout et tordait de toutes ses forces; l'eau jaillissait avec une sorte de crissement. Cela me causait des frissons, est-ce que vous comprenez cela? Elles obtenaient un énorme saucisson qui se détordait pendant qu'elles le jetaient sur le tréteau placé derrière elles. Ce que les femmes n'aimaient pas laver, c'était les mouchoirs des hommes (ou des femmes) qui prisaient, il restait toujours des taches de tabac. "Avec cette sale habitude de priser! J'vas bintoût gui mette sa touine dans le feu!" La touine c'était la tabatière, en forme de petite bouteille ventrue, en ébène.
Les bulles de savon dansaient à la surface, puis étaient entraînées par le courant. Les battoirs claquaient fort, les brosses frottaient, l'eau bouillonnait en sautant par-dessus le barrage, les voix claires et les rires des laveuses résonnaient avec ardeur et fantaisie. Le bruit continu de la chute d'eau constituait le fond sonore de ce concert au bord de l'eau.
En hiver, de temps en temps, papa arrivait avec le pot à café fumant, un chauffe-pieds ou une potine. Pour une fois les femmes étaient servies, et par des hommes encore! Une petite goutte dans le café, allons! ça réchauffe et ça donne un coup de fouet. Il n'était plus question de brûler la touine...
-De què qui travaille le pus ici, c'est-i les langues, c'est-i les battoués?
-Viens donc nous remplacer un peu, tu verras si l'iaou est chaoude!
Papa s'en gardait bien, il rentrait à la maison. Les laveuses installaient le chauffe-pieds ou la potine près d'elles, et de temps en temps, réchauffaient leurs mains rougies car l'eau vive est glacée.
Cela durait toute la journée. Inutile d'ajouter que les pauvres femmes avaient les genoux engourdis et le dos brisé le soir. On étendait le linge sur les haies taillées, sur des fils ou par terre sur l'herbe; on en mettait partout où l'on pouvait. Le paysage était tout pavoisé, annonçant que dans cette maison on venait de laver la buée.

voir "du cuvier à la machine à laver"

La buée

Marie-Louise, née en 1898, la maman de Germaine

 

extrait de "Entretiens en patois"du Club des Aînés Ruraux de Malicorne (recueillis dans les années 1980-1990; groupe autour de M. Maré  et M. Guérin ) Pour ce texte, c'est la mémoire de Germaine, née en 1931 et qui se souvient parfaitement de sa maman qui coulait encore la lessive en 1938, dans la cabane près de la maison à La Chapelle-Saint-Rémy. C'était une famille nombreuse et une laveuse venait toutes les semaines pour le linge de travail. Il y avait un lavoir installé sur la mare de la ferme.

 

 

 

La semaine sainte est passée et ce n'est pas encore les Rogations, c'est le moment de faire la buée de printemps.
Le Zidore se charge d'installer tout le matériel. D'abord il faut monter la selle à buée,un solide assemblage à trois pattes qui locbane (trépied qui remue) un peu mais qui pourra quand même supporter le grand cuvier tout près de la chaudière.
Dans le fond du cuvier il entrecroise d'abord des tricottes (petites branches) avec des tégots (tessons) de vaisselle "pour donner de l'air".
Puis il place le grand cherrier (drap de grosse toile) rempli de cendres ramassées le jour qu'on a boulangé, des cendres de sapin ou d'épines, ou de sarments, soigneusement guerlées (tamisées) sans charbon.

Après ça, la Mélie peut remplir le cuvier. D'abord avec du "grous fait", une douzaine de draps de chanvre tissés par les parents, puis avec du "petit fait" comme les chemises de toile moitié chanvre, moitié lin, de bonnes grandes chemises descendant jusqu'aux genoux par devant, avec une grande bannière par derrière. Enfin avec les torchons, les serviettes et les niferniaux (mouchoirs). Tout ça sans l'abouchonner (sans le serrer en bouchons). Le linge bleu, les culottes, les salopettes seront lavés à part.

La chaudière est allumée. L'iau chauffe dans le chaudron, c'ti là qu'a srvi à boiturer les vaches et à panser les gorins mais benr'netti. (L'eau chauffe dans le chaudron, celui qui a servi à faire cuire l'augée des vaches et à soigner les cochons mais bien nettoyé) A c't'heure (maintenant) faut faire couri la buée. A l'aide du vide buée, la Mélie a verse l'iau bouillante du chaudron dans le cuvier. Ça traverse tout le fait (le linge). Le lessis (le jus de lessive) ressort en bas par le pissoué (le trou d'écoulement) et retourne à la chaudière par le tuau (le tuyau) . Ça dure toute la journée, des fois jusqu'à 11 heures du soir. Aussi la Mélie qui est pour le modernisme al a dit "la prochaine fois j'mettrai du cristau (des cristaux de soude), ça ira pu vite".

Le lendemain d'vers les 6 heures du matin v'la 3 laveuses qui v'nant aider la Mélie. Il fait pas chaud aussi un bon café ben arrousé (à l'eau de vie) et enn'p'tite routie au cit (cidre)  su l'coup de dix heures, ça vous r'donne du coeur à l'ouvrège. C'est qu'il s'agit d'charreyer (transporter) le linge avec la civière (la brouette)  jusqu'au bian (la rivière)  you qu'l'iau al est pu claire qu'au doué (où l'eau est plus claire qu'à la mare). Là toute la journée, les laveuses agenouillées dans leu bouètes à laver vont étaler le linge su la planche du lavoué, le savonner, le brosser, le battre avec le batoué (battoir), le r'tourner, le rincer, le tordre, l'égoutter, pi le ramener à la maison. Il faudra l'égailler sur la haie ou l'apadencer (l'étendre) sur des cordes tendues entre les poteaux d'l'hanga (hangar).

Rude journée! Le soir, les genoux et les reins font mal. Comme réconfort après souper, "eun'bonne goutte"(ration d'eau de vie) aidera les laveuses à regagner leur gîte.

voir"du cuvier à la machine à laver"

Au lavoir...

Emile Zola "L'Assommoir" 1877  dans les Œuvres complètes p48-49-50 éditions Edito-Service

Sur le boulevard, Gervaise tourna à gauche et suivit la rue Neuve-de-la-Goutte-d'Or.[...] Le lavoir était situé vers le milieu de la rue, à l'endroit où le pavé commençait à monter. Au-dessus d'un bâtiment plat, trois énormes réservoirs d'eau, des cylindres de zinc fortement boulonnés, montraient leurs rondeurs grises; tandis que, derrière, s'élevait le séchoir, un deuxième étage très haut, clos de tous les côtés par des persiennes à lames minces, au travers desquelles passait le grand air, et qui laissaient voir des pièces de linge séchant sur des fils de laiton. A droite des réservoirs, le tuyau étroit de la machine à vapeur soufflait, d'une haleine rude et régulière, des jets de fumée blanche. Gervaise, sans retrousser ses jupes, en femme habituée aux flaques, s'engagea sous la porte encombrée de jarres d'eau de javelle. Elle connaissait déjà la maîtresse du lavoir, une petite femme délicate, aux yeux malades, assise dans un cabinet vitré, avec des registres devant elle, des pains de savon sur des étagères, des boules de bleu dans des bocaux, des livres de bicarbonate de soude en paquets. Et, en passant, elle lui réclama son battoir et sa brosse, qu'elle lui avait donnés à garder, lors de son dernier savonnage. Puis, après avoir pris son numéro elle entra.
C'était un immense hangar, à plafond plat, à poutres apparentes, monté sur des piliers de fonte, fermé par de larges fenêtres claires. Un plein jour blafard passait librement dans la buée chaude suspendue comme un brouillard laiteux. Des fumées montaient de certains coins, s'étalant, noyant les fonds d'un voile bleuâtre. Il pleuvait une humidité lourde, chargée d'une odeur savonneuse, une odeur fade, moite, continue; et, par moments, des souffles plus forts d'eau de javelle dominaient. Le long des batteries, aux deux côtés de l'allée centrale, il y avait des files de femmes, les bras nus jusqu'aux épaules, le cou nu, les jupes raccourcies montrant des bas de couleur et de gros souliers lacés. Elles tapaient furieusement, riaient, se renversaient pour crier un mot dans le vacarme, se penchaient au fond de leurs baquets, ordurières, brutales, dégingandées, trempées comme par une averse, les chairs rougies et fumantes. Autour d'elles, sous elles, coulait un grand ruissellement, les seaux d'eau chaude promenés et vidés d'un trait, les robinets d'eau froide ouverts, pissant de haut, les éclaboussements des battoirs, les égouttures des linges rincés, les mares où elles pataugeaient s'en allant par petits ruisseaux sur les dalles en pente. Et, au milieu des cris, des coups cadencés, du bruit murmurant de pluie, de cette clameur d'orage s'étouffant sous le plafond mouillé, la machine à vapeur, à droite, toute blanche d'un rosée fine, haletait et ronflait sans  relâche, avec la trépidation dansante de son volant qui semblait régler l'énormité du tapage.

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