Il y a 150 ans, la guerre 1870-71 à Ruaudin
La France a déclaré la guerre à la Prusse le 19 juillet 1870. Les combats se déroulèrent d’abord dans l’Est de la France. A la suite de la défaite de Sedan le 4 septembre, l’Empereur Napoléon III fut fait prisonnier et déchu. Un gouvernement de Défense Nationale fut constitué et décida de poursuivre la guerre. Les combats continuèrent à l’Est de la France et Paris fut assiégé. Une grande partie des mobilisés français furent faits prisonniers. Le gouvernement décida de reconstituer des armées, dont la Deuxième armée de la Loire commandée par le général Chanzy, constituée principalement de mobiles. Dans la région d’Orléans, les combats rendus très difficiles par un hiver particulièrement rude, furent favorables aux prussiens. Le général Chanzy décida un repli sur Le Mans pour réorganiser ses troupes avec l’objectif de marcher ultérieurement sur Paris.
C’est à partir du 20 décembre 1870 que l’Histoire va concerner Ruaudin. Chanzy regroupe ses différents régiments autour du Mans, notamment le long du Chemin aux bœufs ; des éléments du 62ème de ligne stationnent dans la commune. Ils vont réquisitionner des vivres, bois de chauffage et des véhicules. Les Ruaudinois concernés par ces réquisitions en font la liste afin d’obtenir des compensations. Avec la neige, les bourrasques de vent, puis le dégel qui rendait les chemins impraticables et les déplacements difficiles, rien d’étonnant à ce que les soldats du 62ème de ligne aient eu besoin de bourrées (fagots) pour se chauffer.
Quand les soldats français refluent, les prussiens s’avancent.
En parcourant le registre des délibérations du Conseil municipal de la commune qui couvre les années 1868-1887, la découverte de cette caricature nous a interrogés :
-Qui en est l’auteur ?
-Que faisait-il à Ruaudin à ce moment ?
-Que voulait-il signifier ?
L’auteur, un soldat prussien qui s’est introduit dans la mairie de Ruaudin et y a marqué son passage de façon humoristique et a signé. Quelques pages plus loin, deux autres graffitis, sans illustration indiquent les noms de leurs auteurs l’un Johann Herman Dierssen né le 10 janvier 1843 (jour du début de la bataille du Mans) à Kleinsander, l’autre Johann Kirchoff né le 14 juillet 1843 à Loquard près de Emden, localités situées au nord de l’Allemagne très loin de Ruaudin !
Ce type de méfaits n’est pas exceptionnel, il est relaté à plusieurs reprises dans une enquête réalisée en 1873 [1]. On pourrait même se satisfaire que ces documents n’aient pas été brûlés comme cela est arrivé parfois ; peut-être Dierssen voulait-il juste fêter son anniversaire ! ou saluer à sa façon, la proclamation de l’empire allemand qui s’est déroulée à la galerie des glaces de Versailles, le 18 janvier.
La caricature pourrait montrer le roi de Prusse, Guillaume Ier rejetant Napoléon III, reconnaissable à sa moustache et sa barbichette. L’auteur recopie une strophe d’une chanson bien connue avant 1880 en Allemagne. Ses deux dernières lignes expriment des revendications qui se concrétiseront dans le traité de Francfort du 10 mai 1871 : l’Alsace et la Lorraine sont cédées à l’Empire allemand, la France doit verser 5 milliards de francs or sur 3 ans.
La présence des soldats prussiens s’est étendue à l’ensemble de la commune, de façon brutale : il fallait nourrir les hommes et les bêtes. Parlant de ces réquisitions, l’enquête départementale de 1873 indique « des bandes de soldats, composées souvent de quelques hommes seulement, ne paraissent pas toujours commandées, parcourent de tous côtés la campagne ; ils pénètrent dans les greniers, dans les étables, dans les basses-cours, prennent à discrétion grains et fourrages, bétail et volailles, puis disparaissent ». A Parigné l’Evêque, dans le petit livret paru en 1874 [2], l’auteur note « La brigade française en fuite, les Prussiens se répandent dans les maisons, dans les caves, fouillant de tous côtés pour arrêter les soldats cachés, et réclamant vin, eau de vie, etc. Hélas ! nous voyons ces ennemis maudits maîtres dans nos demeures, maltraitant les habitants, vidant les meubles, s’emparant de tout ce qu’ils trouvent à leur convenance, mordant à même d’énormes morceaux de beurre en criant : cognac ou capout ! » Les habitants de Ruaudin ont vécu les mêmes heures noires et les archives communales nous livrent leurs déclarations des pertes subies sur des papiers de tous formats, aux écritures quelquefois maladroites ou confiées au secrétaire de mairie. Sur le récapitulatif municipal des déclarations du 14 mars 1871, 163 familles sont concernées sur les 251 recensées en 1872 soit 65% des foyers. Tout est bon à emporter, le nécessaire et le superflu. Pour la nourriture : en grande quantité du beurre, du lard, du pain, des rilles, des pommes de terre, du cidre mais aussi de l’alcool, des poules, des vaches et des cochons. Le bois de chauffage, les bourrées mais aussi les objets en bois sont recherchés par ce grand froid, de même que la paille et le foin pour les chevaux, les vêtements (chemises hommes et femmes, redingotes, gilets, paires de bas en laine, pantalons), les couvertures et couvre-pieds. Les artisans du bourg sont tous mis à contribution, chacun selon son métier (en plus des denrées ordinaires) :
Michel Bigot maréchal, déclare 400 livres de fer à cheval, 20 livres de clous, des marteaux et tenailles ;
François Tessier boucher, 200 livres de lard salé et jambon, 200 livres de bœuf, 1 porc vivant, 20 andouilles, 5 kg de graisse et rille ;
Henri Plu boulanger, 700 livres de pain, 200 livres de farine blanche, 100 livres de beurre, 3 charretées de bois de sapin ;
Louis Legeay épicier, une grande quantité de vêtements, 300 livres de café, 28 livres de chandelle de suif, 3 livres de cierge blanc, 90 livres d’oribus ;
Pierre Denis cabaretier au Cheval blanc, 400 bouteilles de vin bouché, un fût d’eau de vie de 115l, un fût de cognac de 40l ; Havois menuisier et cabaretier, du vin, de l’alcool et de la menuiserie brûlée.
Tonnelier, charpentier, charron, cordonnier, tourbier, cantonnier, les deux aubergistes de la lande du Camp, les deux marchands de vaches, l’instituteur, le curé, le marchand de pommes de pin tous ont vu leur domicile forcé et visité par l’occupant. Les veuves ne sont pas épargnées, comme Me Davase au bourg, sabotière et épicière. (maison en face l’église) Les agriculteurs rançonnés de leur fourrage et de leurs grains sont aussi réquisitionnés pour assurer l’approvisionnement des prussiens : 10 voyages pour Louis Bruneau, 30 journées de charroi avec un cheval et une voiture pour Auguste Rouillard au Grand Courbeaulin. A tous ces méfaits s’ajoutent les dégâts aux bâtiments, les nombreux objets brûlés (bois de lit, chaises, outils, éléments de métier à tisser), les portes et vitres brisées.
Les armées prussiennes occupent une grande partie de la Sarthe jusqu’au 9 mars 1871. Lorsqu’il revient au Mans après avoir été blessé dans le Loir-et-Cher, Charles de Montesson relate « tout le long de la route, je vois encore les traces de l’invasion, les emplacements des bivouacs, les maisons démolies ou brûlées, les tombes éparses dans les champs ou échelonnées dans les fossés de la route ; le paysan les a respectées et l’on a brûlé dessus des branchages pour écarter les carnassiers[3]. »
Dans les archives municipales sont aussi recensées des victimes civiles et militaires. Dès le 30 décembre 1870, le décès du soldat Dalmas François né dans les Alpes Maritimes est enregistré en mairie. Aubourg Frédéric, journalier aux Gouttières et Maiche Joseph, cultivateur au Bordage attestent que ce soldat est décédé dans l’ambulance établie sur la commune (lieu aménagé dans une habitation privée pour soigner les blessés). Un soldat inconnu ?
Ce soldat originaire de Chartres dont on estime l’âge à 32 ans est mort d’une indigestion au domicile de Eugène Couet, agriculteur à la Touchette. Beaucoup d’informations sont données sur son uniforme, son régiment, son matricule 7703, seul son nom manque. Après sa mort, il est inhumé au cimetière de Ruaudin. Fait-il partie des soldats inhumés dans la tombe spécialement dédiée à ces victimes après la Loi du 4 septembre 1873 ? Cette loi indiquait que chacune des parties belligérantes, l’Allemagne d’un côté, la France de l’autre devaient s’occuper des sépultures sur son territoire. C’est pourquoi dans le cimetière de Ruaudin, près du monument aux morts deux tombes « Loi du 4 septembre 1873 » ont été installées. Y ont été rassemblés les restes des dépouilles des soldats défunts.
Grâce aux archives, seuls les emplacements des tombes provisoires nous sont connus, pas les noms des soldats. Ces tombes se trouvaient majoritairement au plus près des lieux combats près du Tertre Rouge au nord de la commune aux lieudits suivants : La Lande du Camp et Les Basses Gouttières.
Plus tardivement sont arrivés en mairie les transcriptions des décès des soldats morts ailleurs : Cormier Michel, voiturier réquisitionné à l’armée décédé le 22 février 1871 à l’hospice civil de Laval, Garnier Jules, 4ème régiment de Zouaves, âgé d’environ 22 ans, décédé à l’hôpital Saint-Antoine à Paris le 20 décembre 1870, Gouault Auguste garde-mobile de la Sarthe, âgé de vingt-quatre ans, décédé à Orléans le 7 décembre 1870 et Rouillard Alexandre, infirmier militaire, décédé le 2 décembre 1870 à l’hôpital de Tours.
Seuls deux noms de Ruaudinois figurent sur le monument aux morts qui a été d’abord installé à la lune de Pontlieue puis déplacé au cimetière sud : Barrier René et Garnier Jules (précité).
Un soldat changéen était natif de Ruaudin : Bouleau Julien né le 17/07/1850 fils de Julien Bouleau et Marie Launay. En 1866 ils habitaient Les Courpins ou les Maisons neuves (réunis dans le recensement).
Les militaires ne furent pas les seuls à payer un lourd tribut.
La population ruaudinoise affaiblie par les privations endurées lors de la présence des Prussiens sur son sol a dû affronter une épidémie de variole, la plus importante du XIXe siècle. Cette épidémie particulièrement virulente avait frappé la France avant la déclaration de guerre, en juillet 1870. Comme le rappelle M. Chauffard H. dans son rapport sur les épidémies pour les années 1869-1870 à l’Académie de médecine : « Pendant l’année 1869 et le commencement de 1870, les épidémies demeurèrent locales ou ne se propagèrent, par voisinage, qu’à de très courtes distances ; mais lorsque la guerre amena ce grand mouvement de population qui suivit nos premiers désastres, l’épidémie reprit de toutes parts une nouvelle intensité. On la vit naître là où elle n’existait pas et dans d’autres lieux où elle s’éteignait, faute d’aliments, elle reprit une ardeur qui fit oublier ses précédents ravages. Les militaires ou les mobiles atteints la promenaient partout avec eux, et les populations fuyant le flot envahisseur l’entraînaient avec elles dans des retraites où elle n’avait pas encore sévi ».
Dans le registre d’état civil de Ruaudin, on compte pour l’année 1871, 65 décès sur 940 habitants recensés en 1866 alors que pour les six années précédentes ce nombre oscille entre 16 et 31, la mortalité infantile est particulièrement élevée 15 enfants de moins de 1an décèdent cette année-là. Des familles sont décimées.
Deux frères, François et Louis Lebray perdent chacun deux enfants en 1871. Pour le premier, Désirée, 6ans meurt le 2 juillet, sa sœur Louise, 12 ans, le 7 juillet. Pour le second, Victor décède à 22ans le 27 mai, sa sœur Louise, 25 ans le 8 juin. Celle-ci, mariée à Louis Rouillard avait donné naissance à un enfant mort-né le 31 mai.
La famille d’un cordonnier habitant au bourg, a elle aussi, été fortement éprouvée .Legoué René 24 ans et son épouse, Louise née Picouleau déclarent en mars la perte de la quasi-totalité de leurs fournitures (cuir à semelles, huile et crampons, souliers neufs, prêts à livrer…), de leurs habits (chemises de toile, pantalon de laine douce, gilet, vestes de femme…) de leur nourriture et boisson (busse de cidre) et de leurs moyens de chauffage (80 bourrées de chêne et sapin et une charretée de bois fendu) et 20F. de cierges, pour clore cette liste terrible.
Ce jeune couple perd leur petite fille de 4 mois le 12 août et le 11 novembre, René décède…
Ces deux exemples illustrent une situation vécue par des gens ordinaires en proie à un véritable cataclysme : occupation et guerre pendant un hiver particulièrement rigoureux auxquels va s’ajouter l’épidémie de variole (petite vérole).
Victor Hugo, un de nos écrivains majeurs a rédigé pendant cette période un recueil de poèmes intitulé l’Année terrible (guerre contre les prussiens, insurrection de la Commune de Paris et personnellement la perte subite de son fils Charles).
Nous pouvons, pour conclure cet article, affirmer que les habitants de Ruaudin qui ont vécu les épisodes évoqués ci-dessus ont, eux aussi, subi une ANNEE TERRIBLE.
Article pour le bulletin municipal de Ruaudin de Janine et Gérard CHARTIER
[1] Une commune de la Sarthe pendant l’invasion 1870-1871
[2] Les allemands dans la Sarthe, étude sur leur conduite pendant l’occupation Société d’Agriculture, Sciences et Arts
[3] Charles de Montesson-Souvenirs d’ambulance 1870-71 Archives de la Mayenne





liste des lieux où les soldats morts ont été enterrés

Changé, la bataille de la dernière chance 10-12 janvier 1871
Le rôle de l’Armée de la Loire était d’attirer les troupes prussiennes vers l’ouest de la France pour les détourner de la capitale assiégée depuis octobre. Début janvier 1871, la Sarthe se trouve alors au centre d’un dispositif militaire-clé et on est à se dire qu’il ne faut pas que le Mans tombe entre les mains de l’ennemi. C’est ainsi que le tout petit village de Changé à l’Est du Mans se trouve au centre de la tourmente entre le Plateau d’Auvours défendu par le Général Gougeard et le Tertre rouge sur la route de Tours. Ces trois jours des 10,11 et 12 janvier vont être mémorables et tragiques.
Le Général Chanzy vient de subir l’échec des attaques d’Ardenay et de Parigné l’Evêque. Le IIIe corps du Général prussien Alvensleben avance vers le bourg de Changé. Il entre par la grand-rue venant de Parigné. Les combats sur la place de l’église et dans la campagne proche sont de corps à corps à la baïonnette. Les soldats sont terrorisés et certains demandent quartier malgré leurs officiers. Les Prussiens sont partout.
A la nuit, un soldat français plus téméraire et connaissant la ferme décide d’aller quémander du cidre. A l’intérieur, les Prussiens autour de la cheminée remplissent son bidon et lui disent « Va dire à tes camarades que demain nous rentrerons au Mans et nous y auront tout pris ».
Les officiers prussiens s’installent dans les châteaux de Chefraison et de la Paillerie malgré les obus envoyés de la Butte des fermes par le Général Roquebrune. Les troupes françaises suivant les ordres se replient sur le Tertre laissant les blessés sur place. Les Mobiles et les chasseurs à pied bivouaquent alors dans les tranchées préparées depuis plusieurs semaines. Il fait froid, le thermomètre descend à -10°. Quand le jour se lève le 11 janvier les paysage est enneigé et calme. 60m seulement séparent les soldats des deux armées.
Erard [1]alors capitaine de 33e Mobiles de la Sarthe raconte cet instant. « Le grand froid perçait jusqu’aux os, les dents claquaient ». Il a des cartouches dans sa musette mais pas de pain car l’intendance n’avait pas suivi. Pour se réchauffer et se distraire, les mobiles se battent à coups de boules de neige en riant comme si la guerre n’existait pas.
Louis Sailland [2]raconte une autre anecdote sur cette matinée. De la tranchée un capitaine aperçoit une sentinelle prussienne cachée derrière un arbre qui le regarde. Il lui tend sa gourde en criant : « Ami, schnaps ». Le Prussien quitte ses camarades et se précipite dans la tranchée française où il est fait prisonnier échappant aux durs combats qui vont suivre. C’était alors le calme avant la tempête.
Vers 11h après la visite de Chanzy sur les lieux et le déplacement des troupes le long du chemin aux bœufs, les obus recommencent à tomber. Les Brandbourgeois essaient d’envelopper le Tertre. Malgré quelques renforts venus du Mans par Pontlieue, les soldats français sont massacrés au sortir de la tranchée. La neige rougit. Les gros châtaigniers sont criblés de balles (il faudra les abattre par la suite). Les Allemands n’avancent pas plus de 500m. Ils perdent deux officiers, deux sous-officiers et trente hommes de troupe. C’est la nuit. Les soldats français restent dans la tranchée. Pas de confort. Pas d’intendance. Ils restent avec le sac au dos, immobiles sans tirer un coup de feu attendant les ordres de départ qui n’arrivent pas.
12 janvier. Le jour se lève sur une troupe transie et affamée. Les ennemis sont face à face sur les positions acquises la veille : les Français au Carrefour et le chemin aux bœufs, les Prussiens sur le monticule du Tertre. En quelques minutes, la situation bascule. Les français apprennent que la veille au soir l’ennemi a pris par ruse la Tuilerie du Tertre rouge et qu’il s’apprête à entrer dans la ville du Mans sans combattre. Les renforts là non plus n’avaient pas été envoyés alors que les divisions Barry et Curten attendaient pour partir au combat. De quoi se poser des questions sur l’irresponsabilité de l’Etat-major !
8h du matin. Sous un épais brouillard, les troupes de la Seconde Armée de la Loire reçoivent l’ordre de retraite générale vers la Bretagne. Sur place, c’est la débandade puisqu’il ne faut pas répliquer aux coups de feu. Seule une compagnie de Mobiles de Mamers résiste vaillamment jusqu’à midi. Les Prussiens entrent en trois colonnes dans Le Mans qui, bientôt, est déclarée ville ouverte.
A Changé comme au Mans, les occupants imposent leurs exigences. D’abord de l’argent est réclamé au maire Pierre Godivier comme contribution de guerre puis des vivres pour chaque soldat : 2 litres de vin, 2 livres de viande, du café et du pain à discrétion. Des bons de réquisition permettent de piller les réserves pour l’hiver des Changéens. Il a fallu nettoyer les pièces d’habitation qui avaient servi d’écuries, les soldats ne voulant pas se séparer de leur cheval dans le bourg. Refaire les parquets des salles à manger qui avaient été arrachés pour faire du bois de chauffage. Les meubles furent vidés de leur linge et de leurs provisions par les Prussiens qui se comportaient en maître. « Cognac ou Kapout ». Les officiers s’installent bourgeoisement dans les maisons les plus confortables de la commune. On sait que M.Parmentier, propriétaire du petit château de la Girarderie portera plainte et demandera réparation pour son canapé blanc tâché par le sang des blessés.
Une autre calamité s’abat sur les Changéens en même temps que la guerre et l’occupation : les épidémies de variole, fièvre typhoïde et dysenterie véhiculées par les troupes en campagne. La contagion rapide gagne les Changéens. Elles font plus de morts que les blessures de guerre. Des ambulances sont installées à Changé pour soigner les blessés qui agonisent à l’intérieur de l’église où ils avaient été parqués « sans aucun secours, mourant de froid et de souffrances » racontera le Dr Fournier, médecin de Parigné. A Amigné, une ambulance soigne les civils et les militaires atteints par la contagion.

Au cimetière de Changé, les tombes militaires comptent 254 guerriers français et allemands tombés entre le 10 et le 12 janvier 1871 sur le territoire de la commune. Au Carrefour, sous le monument aux morts inauguré le 10 octobre 1910, 45 soldats ont été enterrés sur place.
Cette ultime bataille perdue par Chanzy aux abords du Mans a fait basculer l’histoire de France : défaite militaire, occupation étrangère, lourde contribution financière du vaincu. Une humiliation telle qui fera naître l’esprit de revanche contre l’Allemagne et qui conduira à la Première guerre mondiale. On en oublierait l’héroïsme des combattants marqués à tout jamais et tous ces morts pour la France.
Annie Charlot, article paru dans la revue La Fraternelle n°326
[1] « Souvenirs d’un mobile de la Sarthe » Denis Erard imprimerie Brunet Beaufay 1994
[2] « Au pays du Maine » Louis Saillant éditions de la société littéraire du Maine Marcel Graffin Le Mans
Changé en 1871
À cette époque, Changé est une commune de 2762 habitants ; 476 familles vivent de l’agriculture. Dans le bourg habitent de nombreux artisans et commerçants, un instituteur, un curé et son vicaire, quatre religieuses dont une institutrice à l’école des filles. Les petits châteaux de la commune, sont des résidences secondaires ; ils furent réquisitionnés tour à tour par les deux armées pour abriter leur quartier général puis leurs blessés.
Les blessés furent soignés à l’Ambulance Girondine installée au presbytère, à la mairie, dans la maison de l’ancien maire, mais aussi chez des particuliers du bourg ou de la campagne près du lieu où ils avaient été blessés. Beaucoup de soldats sont morts sur le Tertre mais d’autres furent tués ou blessés dans différents endroits du territoire ; secourus par les Changéens, les morts furent enterrés sur place par les habitants du lieu-dit ; leurs corps furent ramenés au cimetière plus tard.
À la même époque, c’est l’hiver, et beaucoup de civils sont malades : de grippe, variole et scarlatine. 212 civils furent assistés par les médecins de l’Ambulance. La commune n’ayant pas de médecins, beaucoup de civils profitèrent des soins des médecins militaires. En 1871, à l’état civil, on enregistre 186 morts dont 47 soldats décédés à l’Ambulance ou chez l’habitant, alors que les années précédentes on en compte entre 40 et 50 par an. Les militaires français ou prussiens tués au Tertre ne sont pas déclarés à l’état civil de Changé.
Après la guerre, beaucoup de Changéens font des déclarations de sinistres : incendies, pillages, réquisitions d’animaux, de nourriture pour les hommes et leurs chevaux, des dégradations de clôtures, de granges… Ainsi, le curé déclare que les militaires et leurs chevaux ont couché dans l’église : tout est à nettoyer et réparer comme au presbytère.
De nombreux Changéens ont dû fournir un fût d’eau de vie, du foin et de l’avoine pour les chevaux, une vache et des volailles, de la farine pour les hommes …
La plus impressionnante déclaration est celle d’Alexandre Le Parmentier qui habitait la Girarderie : plus de 1300 bouteilles de bon vin, du Cognac, de l’eau de vie, 20 pots de confiture, 2 vaches, 1 porc, 20 poulets, 20 livres de beurre, 1 pain de sucre de 30 livres, 100 boisseaux de pommes de terre…
Mais aussi des matelas qui ont servi au transport des blessés, des meubles de valeurs cassés et tachés…
Les Prussiens sont partis en signant des bons de réquisition qui devaient faciliter l’indemnisation mais ce ne fut pas toujours le cas. Ils abandonnèrent sur place du matériel pris à Changé ou ailleurs ; le maire de l’époque, Jean-François Provost, vers la fin du mois de décembre 1871, vendit et donna tout cela pour indemniser les Changéens. Il le fit sans autorisation des autorités et de plus pour organiser ces ventes imposa une taxe ; il semble qu’il ait favorisé ses amis et lui-même ce qui lui valut un contrôle et sa place de maire. texte de Françoise Lambert
Le camp de Conlie
Après le désastre de Sedan, le 2 septembre 1870, la République proclamée, Léon Gambetta, membre du gouvernement de Défense Nationale, partisan de la poursuite de la guerre, quitte Paris assiégé en ballon pour rejoindre Tours. Il organise une levée en masse de combattants afin de poursuivre le combat contre les Prussiens et d'organiser une contre-attaque et libérer Paris.
Émile de Kératry, ancien préfet de police de Paris quitte également la capitale en ballon et rejoint Gambetta. Il lui propose le recrutement de 50 000 hommes de l'Ouest pour former une armée de Bretagne qui renforcerait l'armée de la Loire. Un crédit de huit millions lui est alloué pour organiser et équiper cette armée qui sera composée de gardes mobiles disponibles, de mobilisés et de corps francs de Bretagne. A l'origine, Kératry pensait situer ce camp à l'Est du Mans mais le choix se porta sur Conlie, très exactement sur le site de la Jaunelière. Il visite la commune et le site accompagné du Docteur Répin, maire de Conlie.
Mais les pénuries de matériels, tentes, couvertures, de cadres, d'armements ... deviennent vite une réalité, à une saison de fortes pluies. Le froid, l'humidité, l'inaction, les maladies (variole, pneumonie, bronchite) accablent ces malheureux volontaires. "Kerfank" (ville de boue) est le nom donné à ce site.

Suite à des différents sur le commandement de cette "armée", de Kératry démissionne le 27 novembre 1870 et est remplacé par le général de Marivault le 12 décembre. Celui-ci, en voyant l'état de délabrement des troupes, va ordonner le début de l'évacuation du camp. Une partie des hommes vont combattre vers Saint-Calais, Pontlieue et notamment à la Tuilerie.
Le 14 janvier, les Prussiens occupent le camp abandonné et décident de le détruire. Le village de Conlie est occupé jusqu'au 6 mars.
Le site de l'Armée de la Loire rend compte d'une façon très complète de l'histoire de ce camp. (camp des mobilisés bretons de Conlie)
Beaumont-sur Sarthe, le 14 janvier 1871
Cette allocution a été prononcée par M. J M FOUSSARD, maire de Beaumont-sur-Sarthe de 1995 à 2001, en utilisant les notes de M. Huron, ancien secrétaire de Mairie et de l’abbé L. Besnard, ancien curé de Beaumont
Lors des cérémonies commémoratives du 8 mai et du 11 novembre, nous nous recueillons quelques instants auprès des tombes des soldats morts lors de la guerre 1870-71. Mais peut-être vous êtes-vous posé la question : pourquoi dans notre cimetière ? C’est que notre Commune fût le théâtre d’une des dernières batailles de cette guerre.
Le 12 janvier 1871, alors que la bataille du Mans était terminée, l’armée de Chanzy se repliait sur Laval. La guerre était finie pour beaucoup de combattants. Et pourtant, Beaumont-sur-Sarthe devait connaître, deux jours plus tard, une de ses journées les plus dramatiques. Ce fait, à peine cité par quelques historiens, mérite d’être relaté.
Depuis novembre 1870, la ville était sur pied de guerre. La Garde Nationale sédentaire, sur les instructions du Préfet de la Sarthe, était réorganisée, armée et assure gardes et patrouilles. Le Conseil municipal qui a reconnu le gouvernement de Défense Nationale comme régulièrement constitué jusqu’à la fin de la guerre prend toutes dispositions pour le cas où les Prussiens viendraient jusque dans la région. Une ambulance est installée à l’Hospice -rue de la Gare- et une autre à l’École des garçons -rue de Saint-Pierre- où de nombreux blessés sont conduits. Plusieurs, d’ailleurs y décèdent, soldats des 56e et 72e Régiments d‘Infanterie de Ligne, Gardes Mobiles, Zouaves. Les uns sont originaires de Loire-Inférieure, d’autres du Midi ou de la région parisienne.
Début janvier 1871, le Colonel BOURMEL, qui commande les mobilisés de la Mayenne et les forces militaires de la région de Pré-en-Pail s’attend à l’arrivée des Allemands à Beaumont. Il veut faire sauter le Pont suspendu (inauguré en 1846) à la suite de la déroute du Mans. Le 3 janvier, il faut que Monsieur DUMANS, maire de Beaumont, lutte contre lui, malgré la menace d’un révolver, pour empêcher l’exécution des ordres du colonel BOURMEL. Les ouvriers, commandés par celui-ci, firent semblant de creuser quelques trous aux abords du Pont, puis sur les conseils du maire, cachèrent leurs outils.
Les Prussiens, effectivement, se dirigeaient vers Beaumont. Tandis que les soldats du Prinz Frédéric Charles poursuivaient l’armée de Chanzy vers Laval, ceux du Grand-Duc de Mecklembourg, se dirigeant vers Alençon, arrivèrent aux environs de Beaumont le samedi 14 janvier. Très tôt, ils étaient à la Croix Verte où s’établit le contact avec les mobiles chargés de la défense de Beaumont. Un premier combat eut lieu au sud de la rivière avec des tués, des blessés et des prisonniers. Tandis qu’une colonne se dirigeait vers Orthon et une autre vers Beaurepaire, le gros de l’armée prussienne tente d’investir la ville. Mais ils ne s’aventurèrent point sur le pont suspendu qu’ils croyaient effectivement miné. C’est par le vieux pont de pierre qu’ils s’engagèrent dans la ville, puis par la Grande Rue qu’ils durent sabler pour permettre à leurs canons de monter cette rue gelée. C’est alors que s’engagea un violent combat. Les Gardes Mobiles de la Mayenne et de l’Orne, chargés de défendre la ville et commandés par le Capitaine Edmond PICHOT, ouvrirent le feu sur les assaillants de la Grande Rue (rue Albert Maignan) et la bataille se continua jusqu’à ce que la ville fût complètement investie. Nous n’avons que peu de détails sur ce qui se passa en ville, mais, des maisons furent incendiées, à la mairie des registres et d’autres papiers furent brûlés, sans compter les vols, pillages et autres saccages. Combien y eut-il de morts tant Français que Prussiens ? Nul ne le sait, car ils furent inhumés dans deux fosses communes au cimetière de la ville : une pour les Français et une pour les Allemands. Ces deux tombes, réunissant les ennemis d’hier, ont toujours été entretenues de même façon et avec le même soin par toutes les municipalités belmontaises.
Le Capitaine Edmond PICHOT, âgé de 37ans, fut une des premières victimes de cette journée, « tué d’un coup de feu vers 9 heures et demie dans la Grande Rue ». Un Garde mobile de Gorron, en Mayenne, Paul GESTEAU, 34ans, semble avoir été une des rares victimes identifiées. Il le fut, six mois plus tard, le 23 juillet, par son frère Constant qui ayant été autorisé à faire ouvrir les fosses…le reconnut grâce à la chemise qu’il portait . Il y eut des prisonniers, sans doute, mais aussi des blessés qui furent trans portés aux ambulances de l’Hospice et de l’École des garçons. Plusieurs y décédèrent par la suite, dont nos registres d’Etat-Civil gardent les noms : Pascal CORNU, Jean MULOT, François LEFEUVRE, Prosper ROUSSEAU, Louis GONTIER, Marin MOUTIER, Joseph SAULNIER, Gardes Mobiles de la Mayenne, Alexis ROSSEIGNOL, Eugène PORTE, Gardes mobiles de l’Orne, Auguste BELLAIS Garde mobile de la Manche.
Nous n’avons pu retrouver aucun nom de soldats prussiens tués au cours de cette journée du 14 janvier. Au cimetière, la tombe des soldats Allemands tués en 1870-71, ne porte qu’un seul nom : Heinrich Freiherr von HEIMROD, lieutenant im Inf Reg n°83 gefallen vor Beaumont-sur-Sarthe den 14 janvier 1871. Les circonstances de la mort de cet officier prussien sont assez obscures. On dit qu’il poursuivait à cheval un « mobile » qui venait de conduire à l’ambulance de l’Hospice un officier français blessé. Ce mobile s’enfuyant ensuite vers le chemin de la Courbe, l’officier prussien, sur les indications qui lui furent données, partit dans cette direction. On entendit bientôt un coup de feu et, quelques instants plus tard, le cheval revint seul vers la ville, portant sur lui des traces de sang.
La ville de Beaumont devait payer très cher ces actes de résistance et d’hostilité envers l’occupant. Outre les sévices qui n’avaient pas manqué de faire les Prussiens à la population, la ville fut le jour même frappée par l’ennemi d’une énorme contribution en nature (d’un montant de plus de 10 000francs or) qui était livrée le dimanche 15 janvier à 6h du matin, sous la Halle. Le même jour, la ville de Beaumont était soumise à une contribution en argent de 60 000 francs et les Prussiens prirent 8 conseillers municipaux comme otages. Devant leur refus de céder, ils furent emmenés à Alençon et ne furent libérés que le 18 janvier, la somme exigée ayant pu être réunie et versée le 17 janvier, à Alençon, au Trésorier du Grand-Duc de Mecklembourg. La ville de Beaumont a enfin été mise à contribution en nature, entre le 14 janvier et le 21 février, pour un montant de plus de 50 000 francs, sans compter la nourriture des troupes, comme en témoigne le registre des délibérations du Conseil municipal.
Lorsque le 19 février suivant, le maire de Mamers demanda la participation de la ville de Beaumont au versement d’une somme de 450 000 francs qui devait être versée par les principales villes de l’arrondissement le 23 février, le Conseil municipal jugea impossible cette participation étant donné les importantes contributions en nature et en espèces dont il avait été frappé depuis le 14 janvier. Tels sont les faits qui marquèrent cette dramatique journée à Beaumont.
Ces évènements de janvier 1871 ne doivent pas nous faire oublier le choc terrible qui opposa au début d’août 1870 l’Armée française à l’Armée de BISMARCK avec notamment l’héroïque charge de Reichoffen. Au nombre de ces valeureux soldats, à qui les Prussiens rendirent hommage, se trouvait un enfant de Beaumont, le sous-lieutenant Henri NOUAUX, fils d’un médecin de notre ville, ancien Saint-Cyrien, et qui fut tué ce 6 août 1870 à la tête de ses chasseurs. Se trouve être aussi, au cimetière de Beaumont, un monument rappelant son sacrifice. Il repose à 1km au Sud de Frœschwiller dans cette terre des Vosges qui l’a vu mourir.
Le 24 janvier 1871, journée tragique à Sougé-le-Ganelon
La bataille du Mans des 10-11 et 12 janvier s’est soldée par une défaite française et l’occupation prussienne de la ville. L’armée prussienne poursuit les troupes françaises en direction de l’Ouest. Les 14 et 15 janvier, La commune de Sougé reçoit un bataillon de Mobiles de la Haute-Garonne. Le 15 janvier, la ville de Fresnay- sur-Sarthe est prise par plus de 5 000 soldats prussiens. A 15h, ce même jour, 3 cavaliers uhlans prennent possession du bourg. Une heure après, 600 hommes du 3e bataillon du 89e Régiment d’Infanterie du Mecklembourg envahissent la commune. Quelques canons sont rangés autour de l’église. Les soldats se logent chez l’habitant sans ménagement. Le 16 janvier, le régiment prussien quitte le bourg en direction d’Alençon. Du 17 au 22 janvier, des allers et venues de patrouilles de reconnaissance, des passages d’éclaireurs, de soldats et de cavaliers vont traverser le village.
Le 23 janvier une vingtaine de Francs-Tireurs tirent sur une patrouille de reconnaissance prussienne au Gué-Ory et blessent un cheval. Le 24 janvier, deux escadrons de Dragons et de Hussards ainsi que quelques centaines de fantassins prussiens sont de passage. Leur commandant prévient le maire que, si un seul coup de fusil est tiré, le village sera brûlé. Vers 13h, une quinzaine de Francs-Tireurs français sont dans le bourg ; cinq d’entre eux tirent sur une reconnaissance prussienne près de la Martinière et blessent un cavalier et son cheval. Le Général Karl Von Schmidt, commandant à Fresnay, condamne Sougé à périr par le feu. Des cavaliers du 2e Régiment de Hussards Hessois, commandés par la major Von Klocke arrivent dans le bourg.
Soudain, les trompettes sonnent, les cavaliers allemands mettent pied à terre, de véritables hurlements sauvages sortent de leurs poitrines ; ils se précipitent en furieux dans les maisons, ils brutalisent les habitants sans s’inquiéter ni du sexe ni de l’âge, ils enfoncent les portes et les fenêtres qui ne s’ouvrent pas assez vite devant eux , ils brisent les meubles, ils amoncellent dans chaque chambre les débris du mobilier et les objets de literie qu’ils ont d’abord éventrés, et ils ne sortent qu’après avoir allumé l’incendie. Bientôt, le bourg entier n’est plus qu’un immense brasier.
Mais la rage de nos ennemis n’est pas assouvie encore. Deux mobiles de la Haute-Garonne, l’un grièvement blessé, Guillaume CAILLAUX, l’autre, François ALIBERT, sérieusement malade pour rejoindre son régiment, avaient été recueillis à la Castine, chez Madame GONTIER, et soignés par cette dame. Les Allemands découvrent Caillaux, ils s’en saisissent, ils l’arrachent de son lit, ils le lardent de coups de sabre, et, ô comble d’inhumanité et d’horreur ! ils traînent son cadavre jusque sur la route et ils le font piétiner par leurs chevaux. Cette sanguinaire besogne accomplie, ils mettent le feu à l’habitation, et l’autre infortuné mobile, Alibert, trop malade pour pouvoir s’échapper, fut étouffé dans son lit.
Une autre colonne de soldats prussiens arrivant sur Sougé avait saisi une trentaine d’hommes comme otages du côté d’Averton, et les emmenait attachés derrière les voitures. Parmi eux cependant se trouvait un loyal soldat, au cœur généreux, d’origine polonaise, révolté par le spectacle qu’il avait sous les yeux, et ému de compassion pour les otages d’Averton, avait, pendant ce temps, courageusement coupé les liens de ceux-ci en les engageant à fuir. Nos compatriotes, vous le pensez bien, suivirent ce conseil, où il nous et permis de dire que, sans la généreuse initiative de cet officier, leur vie eût couru les plus grands dangers. L’un d’eux en effet, un pauvre enfant de 17ans, Alcide ROULAND, ne peut s’échapper assez vite. Il fut repris par ses bourreaux, enchaîné de nouveau, et le lendemain matin son cadavre fut retrouvé criblé de blessures dans un champ avoisinant Sougé, sur la route de Fresnay.
Ce fut à six heures et demie seulement, qu’après avoir accompli leur œuvre maudite, nos ennemis se retirèrent enfin, laissant de bourg en feu et entraînant avec eux, comme otage, l’honorable et dévoué maire, mon regretté ami M. THIREAU. Pendant la soirée entière, pendant une partie de la nuit, le ciel demeura éclairé par les lueurs de l’incendie, visible de vingt kilomètres à la ronde, de Saint-Georges, de Douillet, de Montreuil, de Mont-Saint-Jean, d’Assé, de Saint-Léonard-des-Bois. (récit extrait du discours prononcé le 8 avril 1901 à Sougé par l’Abbé MORANCE, ancien aumônier du 33e Mobiles et ancien vicaire de Sougé)
Le bilan de l’incendie est très lourd : 37 habitations détruites et 25 autres endommagées.
Lors des indemnités de guerre, la commission départementale a accordé 19 500F à la commune de Sougé. De plus, la souscription du Sou des Chaumières, a donné en 1872, 1500F à Adolphe Léger et 1000F à Marin Charbonneau. Une plaque commémorative a été apposée sur les façades de ces deux maisons.
La maison de l’école des garçons, édifiée en 1866, faisait partie des habitations détruites. En 1873, lors de sa reconstruction, la municipalité reçut du Ministère de l’Instruction Publique une subvention de 5 500F sur les 10 000F du devis. (recherches de l’association Mémoire et Patrimoine de Sougé publiées dans un recueil en juillet 2021 à l'occasion du 150e anniversaire de la guerre de 1870-1871)
Le 28 janvier 1871, un ballon se posait à Sougé-le-Ganelon
A partir du 19 septembre 1870, Paris est assiégé par les troupes prussiennes ; la ville se trouve isolée de la délégation du gouvernement provisoire réfugiée à Tours. Des ballons vont être construits pour répondre à cette impossibilité de communiquer avec l’extérieur. Du 23 septembre 1870 jusqu’au 28 janvier 1871, 66 ballons vont quitter Paris pour traverser les lignes prussiennes par la voie des airs, acheminant du courrier civil et militaire et des passagers.
Le 28 janvier 1871, au petit matin, le dernier ballon le Général Cambronne, s’envole de la gare de l’Est. Il est piloté par Auguste TRISTANT, marin volontaire âgé de 24ans. En fin de matinée, celui-ci pense pouvoir se poser à Saint-Hilaire-le-Lierru mais son ancre s’accroche dans le pigeonnier de la ferme de la Cour alors qu’apparaît un groupe de cavaliers prussiens. Le pilote coupe la corde afin de reprendre de l’altitude et se posera en début d’après-midi à Sougé-le-Ganelon. Le ballon est très vite dépecé pour être soustrait aux ennemis dont un détachement de cavaliers patrouille dans le secteur depuis la matinée. S’approchant du pont de Moré, aucun cavalier n’osera le franchir, la Sarthe étant forte et remuante après la fonte des neiges.
Pierre MOULARD, archiviste départemental, cacha le pilote et organisa sa fuite vers Mayenne ; lui-même partit à pied en passant par Saint-Léonard-des-Bois. Grâce à un subterfuge mis au point avec le colonel Bournel, commandant des mobilisés de la Mayenne dans le rayon de Pré-en-Pail, il retrouvât Tristant le 29 janvier au matin. Ils purent rencontrer le Général Jaurès et transmettre les dépêches urgentes notamment celle destinée à Gambetta, Ministre de l’Intérieur et de la Guerre.
Ce même 28 janvier 1871, l’armistice était signé à Versailles et mettait fin à cette guerre. L’occupation prussienne d’une grande partie de la Sarthe se poursuivit jusqu’en mars.