Quatre longues années de 1914 à 1918 d’un conflit qui par le jeu des alliances, est devenu mondial entraînant une guerre totale tant humaine, que territoriale, économique et financière avec des armes de destruction massive. Appelé « la Grande Guerre », le bilan est impressionnant : 10 millions de morts en Europe, 8 millions d’infirmes autant de veuves et d’orphelins ; des régions entières agricoles et industrielles dévastées.
Le processus commémoratif
Les combattants de la guerre 1870-1871 ont été inhumés sur les lieux de combats puis réinhumés dans les « tombes militaires loi du 4 avril 1873 » dans les cimetières communaux ou sur les lieux de combat. Ce ne sont plus des inhumations en fosse commune mais ce ne sont pas encore des sépultures individuelles.
Face à la mort massive des soldats dès les premiers combats de 1914, de nombreuses familles s’adressent au gouvernement pour que le corps de leur défunt revienne à la famille. Si au début de la guerre , l’État parle d’inhumation en fosse de 100 combattants, face à ses demandes incessantes, il reconnaît par la loi du 29 décembre 1915 que les sépultures devront être individuelles et perpétuelles. Le retour des corps ne pourra se faire qu’après la fin du conflit.
Le retour des corps des soldats
La loi du 31 juillet 1920 statue sur l’organisation des cimetières militaires et la restitution et le transfert des corps aux frais de l’État.
Ces opérations ne commenceront qu’en janvier 1921. Pendant plus de deux ans, le repérage des sépultures a été à peu près achevé. Les tombes isolées ont été regroupées et les cimetières les plus petits ou les plus difficiles d’accès ont été fusionnés afin de faciliter les opérations de regroupement. Le travail est aussi considérable que dantesque.
Comment sortir de la guerre? Stéphane Tison P.U.R.2011, p73
Pour les familles, c’est un temps très long, notamment pour celles dont le défunt est tombé dès l’automne 1914; plus de six longues années à attendre. Le décret du 28 septembre 1920 donne les modalités de ces transferts. Les familles doivent faire leur demande à la mairie dans un délai de trois mois, prolongé jusqu’au 15 février 1921. Un dispositif complexe est mis en place pour l’arrivée des cercueils à la gare du département. Au Mans, cela va nécessiter la construction d’un bâtiment provisoire appelé dépositoire mortuaire, sorte de lieu de stockage et de chapelle ardente, en attendant le transfert dans la commune. Le premier convoi arrive au Mans le 21 mars 1921.
Au Mans, entre mars 1921 et septembre 1924, 1843 dépouilles de soldats morts pour la France sont acheminées par 45 convois, auxquels il faut ajouter 94 convois de corps arrivés isolément. Le plus important d’entre eux est celui du 19 avril 1922, composés de 4 wagons transportant au total 119 cercueils. En 1925, un seul corps est ramené du front. Puis ce sont les corps des prisonniers de guerre que les familles ont parfois attendu dix à douze ans, les opérations ayant été interrompues en avril 1922 pour ne reprendre que le 25 novembre 1925. 8 convois ramènent les dépouilles de 213 hommes au cours de l’année 1926…
Comment sortir de la guerre? Stéphane Tison P.U.R.2011, p 86/87
A chaque arrivée de convoi en gare du Mans, une cérémonie militaire est organisée, de même à l’arrivée du cercueil dans la commune, la famille et la communauté villageoise se trouvent réunies pour une ultime cérémonie. (A Nogent-le-Bernard, en novembre 1921, on peut dire que toute la commune suivait le cercueil de ce modeste héros qui disparaissait sous les fleurs, relate la presse locale).
Les livres d’or
A l’initiative d’un corps de métier, d’une institution, d’une école, d’une association… des livres d’or ont permis d’exprimer la douleur des familles en rendant hommage à leurs soldats.
En général, le livre d’or prépare, sans que cela soit systématique, une autre étape du processus commémoratif: celui de la souscription en vue d’ériger un monument aux morts, ou d’apposer une plaque réunissant tous les noms des membres du groupe tués au cours de la guerre.[…] Selon les moyens financiers de ces groupes divers, une simple plaque ou un monument, dont l’esthétique ne diffère guère des édifices communaux, sont érigés.
Comment sortir de la guerre? Stéphane Tison P.U.R.2011, p 102
voir Le Mans 1914-1918.
Ériger un monument communal
Face à l’hécatombe de la Grande Guerre, la communauté villageoise se rassemble.
« Peu après la cessation des hostilités, les habitants de Chaufour-Notre-Dame eurent la pensée d’élever un monument de leur reconnaissance, à la mémoire des enfants de la commune morts pour la France ».
De même, à Avezé, le conseil municipal dans sa session du 17 novembre 1918, décide de faire élever dans le cimetière un monument afin d’honorer la mémoire des enfants de la commune tombés au Champs d’honneur.
Dans beaucoup de communes, cette décision est prise rapidement après la fin du conflit même si la réalisation demande un peu de temps.
Très majoritairement, les communes érigent leur monument aux morts de 1919 à 1924.
Le dossier
Le processus est le même: le conseil municipal prend la décision puis se donne les moyens de le mettre en œuvre: choix du lieu, choix de l’entrepreneur ou du sculpteur qui fournit un devis et des plans, les moyens financiers. Très souvent, un appel à souscription est lancé. Quand le dossier est complet, il est transmis à la préfecture pour être ensuite validé par le Ministère de l’Intérieur par un décret. Les travaux pouvant alors être commencés.
Face à la mobilisation des villes et villages, le gouvernement par la loi du 25 octobre 1919 décide d’octroyer une subvention aux communes en proportion de l’effort qu’elles feront pour glorifier les héros morts pour la Patrie. Cette loi sera complétée par la circulaire du 10 mai 1920 créant une commission artistique dans chaque département pour juger de la qualité des monuments aux morts.
Les signes et symboles
D’autre part, dans une circulaire du 18 avril 1919, il est précisé que les monuments dans l’espace public ne portent pas de signes religieux; ces derniers sont possibles dans les cimetières.
Voici les symboles qui peuvent se trouver sur un monument aux morts. Nous avons scindé en trois parties ce croquis d’archives du monument de Mézeray pour évoquer les différentes possibilités de placement des symboles.
Les moyens financiers
Reprenons le dossier de Chaufour-Notre-Dame:
Le plan de ce monument fut confié à M. Leroux, architecte diplômé du gouvernement au Mans. Il a été approuvé par M. Le président de la République le 5 août 1920 et exécuté par M. Adelisse, maître carrier à Louvigné-du-Désert (Ille et Vilaine). La mise en place a été faite par M. Dubois, maître maçon à Chaufour. Ce monument est une stèle en granit, surmontée d’une croix et reposant sur un socle, le tout mesurant 3 m 10 de hauteur et 1 m 40 à la base. Les cinq blocs de granit qui le composent pèsent 5760 kilos. Ce poids est supporté par un massif de béton de chaux hydraulique et ciment, de 0 m 40 d’épaisseur.
Les dépenses relatives au plan et à l’exécution du monument et à son transport à Chaufour (4 468,70 F), à sa mise en place (689,65 F); au déplacement de la croix boissée (42,65 F) et à l’enlèvement de deux tombes de la famille Georges (56 F) se sont élevées au total à 5 257 F.
Elles ont été couvertes par une souscription généreuse et tellement unanime des habitants de la commune, que la liste qui en est rapportée ci-après, en suivant l’ordre des lieux-dits, semble être une sorte de recensement de la population.
livret de Chaufour-Notre-Dame 1920
Cette longue liste commence par le curé et le maire et son conseil municipal.
Sur les 607 habitants, 391 personnes ont souscrit pour une somme de 4 224 F (sommes versées allant de 0,25 F à 500 F) auxquelles il faut ajouter 18 propriétaires non résidant pour 304 F et des recettes diverses (642 F) dont une quête à l’église le 27 juillet 1919 à l’occasion d’un service pour les victimes de la guerre et de la fête de la Reconnaissance des enfants de France (118 F), une vente de violettes (24,25 F), une vente de bois abattu (37,50 F).
La dépense de Chaufour-Notre-Dame d’un montant de 5 257F est représentative de celle d’une majorité de communes sarthoises. Cependant, couverte entièrement par la souscription, elle diffère: dans la majorité des communes, cette dépense est couverte par la souscription et le budget municipal.