Ruaudin

Il y a 150 ans, la guerre 1870-71 à Ruaudin

La France a déclaré la guerre à la Prusse le 19 juillet 1870. Les combats se déroulèrent d’abord dans l’Est de la France. A la suite de la défaite de Sedan le 4 septembre, l’Empereur Napoléon III fut fait prisonnier et déchu. Un gouvernement de Défense Nationale fut constitué et décida de poursuivre la guerre. Les combats continuèrent à l’Est de la France et Paris fut assiégé. Une grande partie des mobilisés français furent faits prisonniers. Le gouvernement décida de reconstituer des armées, dont la Deuxième armée de la Loire commandée par le général Chanzy, constituée principalement de mobiles. Dans la région d’Orléans, les combats rendus très difficiles par un hiver particulièrement rude, furent favorables aux prussiens. Le général Chanzy décida un repli sur Le Mans pour réorganiser ses troupes avec l’objectif de marcher ultérieurement sur Paris.

Réclamation suite à la réquisition de l’armée française

C’est à partir du 20 décembre 1870 que l’Histoire va concerner Ruaudin. Chanzy regroupe ses différents régiments autour du Mans, notamment le long du Chemin aux bœufs ; des éléments du 62ème de ligne stationnent dans la commune. Ils vont réquisitionner des vivres, bois de chauffage et des véhicules. Les Ruaudinois concernés par ces réquisitions en font la liste afin d’obtenir des compensations. Avec la neige, les bourrasques de vent, puis le dégel qui rendait les chemins impraticables et les déplacements difficiles, rien d’étonnant à ce que les soldats du 62ème de ligne aient eu besoin de bourrées (fagots) pour se chauffer.

Quand les soldats français refluent, les prussiens s’avancent.

En parcourant le registre des délibérations du Conseil municipal de la commune qui couvre les années 1868-1887, la découverte de cette caricature nous a interrogés :

Graffitis dans le registre des délibérations

-Qui en est l’auteur ?

-Que faisait-il à Ruaudin à ce moment ?

-Que voulait-il signifier ?

L’auteur, un soldat prussien qui s’est introduit dans la mairie de Ruaudin et y a marqué son passage de façon humoristique et a signé. Quelques pages plus loin, deux autres graffitis, sans illustration indiquent les noms de leurs auteurs l’un Johann Herman Dierssen né le 10 janvier 1843 (jour du début de la bataille du Mans) à Kleinsander, l’autre Johann Kirchoff né le 14 juillet 1843 à Loquard près de Emden, localités situées au nord de l’Allemagne très loin de Ruaudin !

Ce type de méfaits n’est pas exceptionnel, il est relaté à plusieurs reprises dans une enquête réalisée en 1873 [1]. On pourrait même se satisfaire que ces documents n’aient pas été brûlés comme cela est arrivé parfois ; peut-être Dierssen voulait-il juste fêter son anniversaire ! ou saluer à sa façon, la proclamation de l’empire allemand qui s’est déroulée à la galerie des glaces de Versailles, le 18 janvier.

La caricature pourrait montrer le roi de Prusse, Guillaume Ier rejetant Napoléon III, reconnaissable à sa moustache et sa barbichette. L’auteur recopie une strophe d’une chanson bien connue avant 1880 en Allemagne. Ses deux dernières lignes expriment des revendications qui se concrétiseront dans le traité de Francfort du 10 mai 1871 : l’Alsace et la Lorraine sont cédées à l’Empire allemand, la France doit verser 5 milliards de francs or sur 3 ans.

Réclamation de Jean Lebray, journalier
et cultivateur au Plantard
Réclamation de Choplain,
marchand de pommes de pin
à la Belle Etoile

Michel Bigot maréchal, déclare 400 livres de fer à cheval, 20 livres de clous, des marteaux et tenailles ;

François Tessier boucher, 200 livres de lard salé et jambon, 200 livres de bœuf, 1 porc vivant, 20 andouilles, 5 kg de graisse et rille ;

Henri Plu boulanger, 700 livres de pain, 200 livres de farine blanche, 100 livres de beurre, 3 charretées de bois de sapin ;

Louis Legeay épicier, une grande quantité de vêtements, 300 livres de café, 28 livres de chandelle de suif, 3 livres de cierge blanc, 90 livres d’oribus ;

Pierre Denis cabaretier au Cheval blanc, 400 bouteilles de vin bouché, un fût d’eau de vie de 115l, un fût de cognac de 40l ; Havois menuisier et cabaretier, du vin, de l’alcool et de la menuiserie brûlée.

Tonnelier, charpentier, charron, cordonnier, tourbier, cantonnier, les deux aubergistes de la lande du Camp, les deux marchands de vaches, l’instituteur, le curé, le marchand de pommes de pin tous ont vu leur domicile forcé et visité par l’occupant. Les veuves ne sont pas épargnées, comme Me Davase au bourg, sabotière et épicière. (maison en face l’église) Les agriculteurs rançonnés de leur fourrage et de leurs grains sont aussi réquisitionnés pour assurer l’approvisionnement des prussiens : 10 voyages pour Louis Bruneau, 30 journées de charroi avec un cheval et une voiture pour Auguste Rouillard au Grand Courbeaulin. A tous ces méfaits s’ajoutent les dégâts aux bâtiments, les nombreux objets brûlés (bois de lit, chaises, outils, éléments de métier à tisser), les portes et vitres brisées.

Les armées prussiennes occupent une grande partie de la Sarthe jusqu’au 9 mars 1871. Lorsqu’il revient au Mans après avoir été blessé dans le Loir-et-Cher, Charles de Montesson relate « tout le long de la route, je vois encore les traces de l’invasion, les emplacements des bivouacs, les maisons démolies ou brûlées, les tombes éparses dans les champs ou échelonnées dans les fossés de la route ; le paysan les a respectées et l’on a brûlé dessus des branchages pour écarter les carnassiers[3]. »

Dans les archives municipales sont aussi recensées des victimes civiles et militaires. Dès le 30 décembre 1870, le décès du soldat Dalmas François né dans les Alpes Maritimes est enregistré en mairie. Aubourg Frédéric, journalier aux Gouttières et Maiche Joseph, cultivateur au Bordage attestent que ce soldat est décédé dans l’ambulance établie sur la commune (lieu aménagé dans une habitation privée pour soigner les blessés). Un soldat inconnu ?

Description du soldat inconnu

Ce soldat originaire de Chartres dont on estime l’âge à 32 ans est mort d’une indigestion au domicile de Eugène Couet, agriculteur à la Touchette. Beaucoup d’informations sont données sur son uniforme, son régiment, son matricule 7703, seul son nom manque. Après sa mort, il est inhumé au cimetière de Ruaudin. Fait-il partie des soldats inhumés dans la tombe spécialement dédiée à ces victimes après la Loi du 4 septembre 1873 ? Cette loi indiquait que chacune des parties belligérantes, l’Allemagne d’un côté, la France de l’autre devaient s’occuper des sépultures sur son territoire. C’est pourquoi dans le cimetière de Ruaudin, près du monument aux morts deux tombes « Loi du 4 septembre 1873 » ont été installées. Y ont été rassemblés les restes des dépouilles des soldats défunts.

Liste des lieux où les soldats morts ont été enterrés

Grâce aux archives, seuls les emplacements des tombes provisoires nous sont connus, pas les noms des soldats. Ces tombes se trouvaient majoritairement au plus près des lieux combats près du Tertre Rouge au nord de la commune aux lieudits suivants : La Lande du Camp et  Les Basses Gouttières.

Plus tardivement sont arrivés en mairie les transcriptions des décès des soldats morts ailleurs : Cormier Michel, voiturier réquisitionné à l’armée décédé le 22 février 1871 à l’hospice civil de Laval, Garnier Jules, 4ème régiment de Zouaves, âgé d’environ 22 ans, décédé à l’hôpital Saint-Antoine à Paris le 20 décembre 1870, Gouault Auguste garde-mobile de la Sarthe, âgé de vingt-quatre ans, décédé à Orléans le 7 décembre 1870 et Rouillard Alexandre, infirmier militaire, décédé le 2 décembre 1870 à l’hôpital de Tours.

Seuls deux noms de Ruaudinois figurent sur le monument aux morts qui a été d’abord installé à la lune de Pontlieue puis déplacé au cimetière sud : Barrier René et Garnier Jules (précité).

Un soldat changéen était natif de Ruaudin : Bouleau Julien né le 17/07/1850 fils de Julien Bouleau et Marie Launay. En 1866 ils habitaient Les Courpins ou les Maisons neuves (réunis dans le recensement).

Les militaires ne furent pas les seuls à payer un lourd tribut.

La population ruaudinoise affaiblie par les privations endurées lors de la présence des Prussiens sur son sol a dû affronter une épidémie de variole, la plus importante du XIXe siècle. Cette épidémie particulièrement virulente avait frappé la France avant la déclaration de guerre, en juillet 1870. Comme le rappelle M. Chauffard H. dans son rapport sur les épidémies pour les années 1869-1870 à l’Académie de médecine : « Pendant l’année 1869 et le commencement de 1870, les épidémies demeurèrent locales ou ne se propagèrent, par voisinage, qu’à de très courtes distances ; mais lorsque la guerre amena ce grand mouvement de population qui suivit nos premiers désastres, l’épidémie reprit de toutes parts une nouvelle intensité. On la vit naître là où elle n’existait pas et dans d’autres lieux où elle s’éteignait, faute d’aliments, elle reprit une ardeur qui fit oublier ses précédents ravages. Les militaires ou les mobiles atteints la promenaient partout avec eux, et les populations fuyant le flot envahisseur l’entraînaient avec elles dans des retraites où elle n’avait pas encore sévi ».

Dans le registre d’état civil de Ruaudin, on compte pour l’année 1871, 65 décès sur 940 habitants recensés en 1866 alors que pour les six années précédentes ce nombre oscille entre 16 et 31, la mortalité infantile est particulièrement élevée 15 enfants de moins de 1an décèdent cette année-là. Des familles sont décimées.

  • Deux frères, François et Louis Lebray perdent chacun deux enfants en 1871. Pour le premier, Désirée, 6ans meurt le 2 juillet, sa sœur Louise, 12 ans, le 7 juillet. Pour le second, Victor décède à 22ans le 27 mai, sa sœur Louise, 25 ans le 8 juin. Celle-ci, mariée à Louis Rouillard avait donné naissance à un enfant mort-né le 31 mai.
  • La famille d’un cordonnier habitant au bourg, a elle aussi, été fortement éprouvée .Legoué René 24 ans et son épouse, Louise née Picouleau déclarent en mars la perte de la quasi-totalité de leurs fournitures (cuir à semelles, huile et crampons, souliers neufs, prêts à livrer…), de leurs habits (chemises de toile, pantalon de laine douce, gilet, vestes de femme…) de leur nourriture et boisson (busse de cidre) et de leurs moyens de chauffage (80 bourrées de chêne et sapin et une charretée de bois fendu) et 20F. de cierges, pour clore cette liste terrible.
  • Ce jeune couple perd leur petite fille de 4 mois le 12 août et le 11 novembre, René décède…

Ces deux exemples illustrent une situation vécue par des gens ordinaires en proie à un véritable cataclysme : occupation et guerre pendant un hiver particulièrement rigoureux auxquels va s’ajouter l’épidémie de variole (petite vérole).

Victor Hugo, un de nos écrivains majeurs a rédigé pendant cette période un recueil de poèmes intitulé l’Année terrible (guerre contre les prussiens, insurrection de la Commune de Paris et personnellement la perte subite de son fils Charles).

Nous pouvons, pour conclure cet article, affirmer que les habitants de Ruaudin qui ont vécu les épisodes évoqués ci-dessus ont, eux aussi, subi une ANNEE TERRIBLE.

Article pour le bulletin municipal de Ruaudin de Janine et Gérard CHARTIER

[1] Une commune de la Sarthe pendant l’invasion 1870-1871
[2] Les allemands dans la Sarthe, étude sur leur conduite pendant l’occupation Société d’Agriculture, Sciences et Arts
[3] Charles de Montesson-Souvenirs d’ambulance 1870-71 Archives de la Mayenne

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