Changé, la bataille de la dernière chance 10-12 janvier 1871
Le rôle de l’Armée de la Loire était d’attirer les troupes prussiennes vers l’ouest de la France pour les détourner de la capitale assiégée depuis octobre. Début janvier 1871, la Sarthe se trouve alors au centre d’un dispositif militaire-clé et on est à se dire qu’il ne faut pas que le Mans tombe entre les mains de l’ennemi. C’est ainsi que le tout petit village de Changé à l’Est du Mans se trouve au centre de la tourmente entre le Plateau d’Auvours défendu par le Général Gougeard et le Tertre rouge sur la route de Tours. Ces trois jours des 10,11 et 12 janvier vont être mémorables et tragiques.
A la nuit, un soldat français plus téméraire et connaissant la ferme décide d’aller quémander du cidre. A l’intérieur, les Prussiens autour de la cheminée remplissent son bidon et lui disent « Va dire à tes camarades que demain nous rentrerons au Mans et nous y auront tout pris ».
Le Général Chanzy vient de subir l’échec des attaques d’Ardenay et de Parigné l’Evêque. Le IIIe corps du Général prussien Alvensleben avance vers le bourg de Changé. Il entre par la grand-rue venant de Parigné. Les combats sur la place de l’église et dans la campagne proche sont de corps à corps à la baïonnette. Les soldats sont terrorisés et certains demandent quartier malgré leurs officiers. Les Prussiens sont partout.
Les officiers prussiens s’installent dans les châteaux de Chefraison et de la Paillerie malgré les obus envoyés de la Butte des fermes par le Général Roquebrune. Les troupes françaises suivant les ordres se replient sur le Tertre laissant les blessés sur place. Les Mobiles et les chasseurs à pied bivouaquent alors dans les tranchées préparées depuis plusieurs semaines. Il fait froid, le thermomètre descend à -10°. Quand le jour se lève le 11 janvier les paysage est enneigé et calme. 60m seulement séparent les soldats des deux armées.
Louis Sailland [2]raconte une autre anecdote sur cette matinée. De la tranchée un capitaine aperçoit une sentinelle prussienne cachée derrière un arbre qui le regarde. Il lui tend sa gourde en criant : « Ami, schnaps ». Le Prussien quitte ses camarades et se précipite dans la tranchée française où il est fait prisonnier échappant aux durs combats qui vont suivre. C’était alors le calme avant la tempête.
Vers 11h après la visite de Chanzy sur les lieux et le déplacement des troupes le long du chemin aux bœufs, les obus recommencent à tomber. Les Brandbourgeois essaient d’envelopper le Tertre. Malgré quelques renforts venus du Mans par Pontlieue, les soldats français sont massacrés au sortir de la tranchée. La neige rougit. Les gros châtaigniers sont criblés de balles (il faudra les abattre par la suite). Les Allemands n’avancent pas plus de 500m. Ils perdent deux officiers, deux sous-officiers et trente hommes de troupe. C’est la nuit. Les soldats français restent dans la tranchée. Pas de confort. Pas d’intendance. Ils restent avec le sac au dos, immobiles sans tirer un coup de feu attendant les ordres de départ qui n’arrivent pas.
12 janvier. Le jour se lève sur une troupe transie et affamée. Les ennemis sont face à face sur les positions acquises la veille : les Français au Carrefour et le chemin aux bœufs, les Prussiens sur le monticule du Tertre. En quelques minutes, la situation bascule. Les français apprennent que la veille au soir l’ennemi a pris par ruse la Tuilerie du Tertre rouge et qu’il s’apprête à entrer dans la ville du Mans sans combattre. Les renforts là non plus n’avaient pas été envoyés alors que les divisions Barry et Curten attendaient pour partir au combat. De quoi se poser des questions sur l’irresponsabilité de l’Etat-major !
Erard [1]alors capitaine de 33e Mobiles de la Sarthe raconte cet instant. « Le grand froid perçait jusqu’aux os, les dents claquaient ». Il a des cartouches dans sa musette mais pas de pain car l’intendance n’avait pas suivi. Pour se réchauffer et se distraire, les mobiles se battent à coups de boules de neige en riant comme si la guerre n’existait pas.
8h du matin. Sous un épais brouillard, les troupes de la Seconde Armée de la Loire reçoivent l’ordre de retraite générale vers la Bretagne. Sur place, c’est la débandade puisqu’il ne faut pas répliquer aux coups de feu. Seule une compagnie de Mobiles de Mamers résiste vaillamment jusqu’à midi. Les Prussiens entrent en trois colonnes dans Le Mans qui, bientôt, est déclarée ville ouverte.
A Changé comme au Mans, les occupants imposent leurs exigences. D’abord de l’argent est réclamé au maire Pierre Godivier comme contribution de guerre puis des vivres pour chaque soldat : 2 litres de vin, 2 livres de viande, du café et du pain à discrétion. Des bons de réquisition permettent de piller les réserves pour l’hiver des Changéens. Il a fallu nettoyer les pièces d’habitation qui avaient servi d’écuries, les soldats ne voulant pas se séparer de leur cheval dans le bourg. Refaire les parquets des salles à manger qui avaient été arrachés pour faire du bois de chauffage. Les meubles furent vidés de leur linge et de leurs provisions par les Prussiens qui se comportaient en maître. « Cognac ou Kapout ». Les officiers s’installent bourgeoisement dans les maisons les plus confortables de la commune. On sait que M.Parmentier, propriétaire du petit château de la Girarderie portera plainte et demandera réparation pour son canapé blanc tâché par le sang des blessés.
Une autre calamité s’abat sur les Changéens en même temps que la guerre et l’occupation : les épidémies de variole, fièvre typhoïde et dysenterie véhiculées par les troupes en campagne. La contagion rapide gagne les Changéens. Elles font plus de morts que les blessures de guerre. Des ambulances sont installées à Changé pour soigner les blessés qui agonisent à l’intérieur de l’église où ils avaient été parqués « sans aucun secours, mourant de froid et de souffrances » racontera le Dr Fournier, médecin de Parigné. A Amigné, une ambulance soigne les civils et les militaires atteints par la contagion.
Au cimetière de Changé, les tombes militaires comptent 254 guerriers français et allemands tombés entre le 10 et le 12 janvier 1871 sur le territoire de la commune. Au Carrefour, sous le monument aux morts inauguré le 10 octobre 1910, 45 soldats ont été enterrés sur place.
Cette ultime bataille perdue par Chanzy aux abords du Mans a fait basculer l’histoire de France : défaite militaire, occupation étrangère, lourde contribution financière du vaincu. Une humiliation telle qui fera naître l’esprit de revanche contre l’Allemagne et qui conduira à la Première guerre mondiale. On en oublierait l’héroïsme des combattants marqués à tout jamais et tous ces morts pour la France.
Annie Charlot, article paru dans la revue La Fraternelle n°326
[1] « Souvenirs d’un mobile de la Sarthe » Denis Erard imprimerie Brunet Beaufay 1994
[2] « Au pays du Maine » Louis Saillant éditions de la société littéraire du Maine Marcel Graffin Le Mans
Changé en 1871
À cette époque, Changé est une commune de 2762 habitants ; 476 familles vivent de l’agriculture. Dans le bourg habitent de nombreux artisans et commerçants, un instituteur, un curé et son vicaire, quatre religieuses dont une institutrice à l’école des filles. Les petits châteaux de la commune, sont des résidences secondaires ; ils furent réquisitionnés tour à tour par les deux armées pour abriter leur quartier général puis leurs blessés.
Les blessés furent soignés à l’Ambulance Girondine installée au presbytère, à la mairie, dans la maison de l’ancien maire, mais aussi chez des particuliers du bourg ou de la campagne près du lieu où ils avaient été blessés. Beaucoup de soldats sont morts sur le Tertre mais d’autres furent tués ou blessés dans différents endroits du territoire ; secourus par les Changéens, les morts furent enterrés sur place par les habitants du lieu-dit ; leurs corps furent ramenés au cimetière plus tard.
À la même époque, c’est l’hiver, et beaucoup de civils sont malades : de grippe, variole et scarlatine. 212 civils furent assistés par les médecins de l’Ambulance. La commune n’ayant pas de médecins, beaucoup de civils profitèrent des soins des médecins militaires. En 1871, à l’état civil, on enregistre 186 morts dont 47 soldats décédés à l’Ambulance ou chez l’habitant, alors que les années précédentes on en compte entre 40 et 50 par an. Les militaires français ou prussiens tués au Tertre ne sont pas déclarés à l’état civil de Changé.
Après la guerre, beaucoup de Changéens font des déclarations de sinistres : incendies, pillages, réquisitions d’animaux, de nourriture pour les hommes et leurs chevaux, des dégradations de clôtures, de granges… Ainsi, le curé déclare que les militaires et leurs chevaux ont couché dans l’église : tout est à nettoyer et réparer comme au presbytère.
De nombreux Changéens ont dû fournir un fût d’eau de vie, du foin et de l’avoine pour les chevaux, une vache et des volailles, de la farine pour les hommes …
La plus impressionnante déclaration est celle d’Alexandre Le Parmentier qui habitait la Girarderie : plus de 1300 bouteilles de bon vin, du Cognac, de l’eau de vie, 20 pots de confiture, 2 vaches, 1 porc, 20 poulets, 20 livres de beurre, 1 pain de sucre de 30 livres, 100 boisseaux de pommes de terre…
Mais aussi des matelas qui ont servi au transport des blessés, des meubles de valeurs cassés et tachés…
Les Prussiens sont partis en signant des bons de réquisition qui devaient faciliter l’indemnisation mais ce ne fut pas toujours le cas. Ils abandonnèrent sur place du matériel pris à Changé ou ailleurs ; le maire de l’époque, Jean-François Provost, vers la fin du mois de décembre 1871, vendit et donna tout cela pour indemniser les Changéens. Il le fit sans autorisation des autorités et de plus pour organiser ces ventes imposa une taxe ; il semble qu’il ait favorisé ses amis et lui-même ce qui lui valut un contrôle et sa place de maire. texte de Françoise Lambert